La mutualisation, le levier qui apporte des gains de performance économique et écologique
Par Mehdi Arhab | Le | Green
Dans une conférence organisée par AI Cargo Fondation, plusieurs institutionnels et experts de la logistique ont rappelé l’intérêt, économique et écologique, pour ses acteurs de mutualiser ses forces. Compte rendu, non exhaustif bien sûr.
La logistique est partout. Il s’agit d’économie, de consommation, d’industrie, mais il est aussi question de nos choix en matière d’écologie, d’énergie, de commerce, de concurrence, de souveraineté
« La logistique est partout. Il s’agit d’économie, de consommation, d’industrie, mais il est aussi question de nos choix en matière d’écologie, d’énergie, de commerce, de concurrence, de souveraineté, de travail et de numérique, de l’innovation. Elle est partout et elle est politique ». Voilà comment a introduit Maxime Forest, directeur général de France Logistique, l’après-midi d’échanges autour de la décarbonation de la logistique par la mutualisation organisée par AI Cargo Fondation, en présence notamment de Franck Dhersin, sénateur du Nord, membre de la Commission du développement durable, Jean-Marc Zulesi, ancien député et président de la Commission du développement durable et Yann de Feraudy, président de France Supply Chain.
À un moment où la puissance publique a fait de la réindustrialisation du pays une priorité, la logistique n’a (plus) rien d’anecdotique. La France - même l’Europe dans son ensemble - a fait de ce sujet un enjeu majeur pour renforcer sa capacité productive pour gagner en autonomie et réduire son empreinte carbone. Réindustrialiser proprement n’a rien de simple, mais sans davantage de logistique, c’est tout simplement mission impossible. « Nous aurons besoin de beaucoup de logistique pour réussir notre réindustrialisation », a soutenu Maxime Forest.
Une fois cela dit, reste à savoir comment penser la logistique et ce surplus dont le pays (ainsi que le continent) aura besoin. Alors que la loi européenne sur le climat, entrée en vigueur en juillet 2021, consacre dans la législation l’engagement de l’Union d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050 et l’objectif intermédiaire de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, la logistique devra être réinventée. Complètement. Les objectifs de décarbonation sont tels qu’il faudra la façonner autrement pour en faire un acteur de la décarbonation. Pas une mince affaire, mais des espoirs sont permis. L’empreinte carbone de la France est estimée à 623 millions de tonnes équivalent CO2 (Mt CO2 eq). Le premier secteur émetteur est le transport (dans son ensemble), qui représente un tiers de ce total. Le transport de marchandises plus spécifiquement pèsent de son côté au moins 50 millions de tonnes selon les données officielles. Les principaux leviers de décarbonation sont l’électrification des véhicules, le report modal vers le fret ferroviaire et fluvial, l’efficacité énergétique (remplacement des véhicules thermiques anciens par des véhicules thermiques ou hybrides plus performants) ainsi que … la mutualisation (et l’augmentation par ricochet des taux de chargement).
« Dans la politique de la logistique, la décarbonation a évidemment une place centrale. Il y a trois grands sujets sur ce point, qui constituent les »3M« de la décarbonation : la motorisation des transports, le maillage des installations logistiques, et enfin, la mutualisation qui regroupe un très vaste champ de solutions à la main des professionnels de la filière pour gagner en efficacité tout le long de la chaîne », a exposé Maxime Forest.
Mutualisation = contradiction ?
La mutualisation permet d’abaisser le coût unitaire, mais aussi le coût écologique. Néanmoins, lorsqu’on la met en œuvre, les professionnels s’exposent à des critiques et aux contradictions de politiques publiques
Prometteuse, la mutualisation est une solution avancée par beaucoup d’acteurs : chargeurs, logisticiens, institutionnels … Elle séduit, mais elle est aussi une source d’appréhensions. « Choisir la mutualisation, c’est s’exposer à toutes les contradictions. Les professionnels de la logistique voient pourtant la mutualisation comme quelque chose d’évident. Ils doivent réaliser des économies de coûts fixes et dans ce cas, la mutualisation qui permet de rassembler, de mieux remplir les camions et mieux grouper ses appros et ses expéditions, est un gage de rentabilité. La mutualisation permet d’abaisser le coût unitaire, mais aussi le coût écologique. Néanmoins, lorsqu’on la met en œuvre, les professionnels s’exposent à des critiques et aux contradictions de politiques publiques. Par ailleurs, mettre les marchandises de plusieurs chargeurs dans les mêmes véhicules et mêmes entrepôts nécessite des sacrifices. La question est aussi de savoir à quelles conditions ces entreprises sont-elles prêtes à partager ces véhicules, ces entrepôts et leurs données et prévisions de vente à des tiers ? », a détaillé Maxime Forest.
Face à ce défi, il ne retient finalement qu’aux acteurs de la logistique, notamment les chargeurs, de s’y engager. Sont-ils enclins à partager les données qui doivent l’être ? Rien ne l’infirme, mais rien ne le garantit non plus. « La massification et la mutualisation sont essentielles et sont les vecteurs premiers d’un transport réussi. Rapporter les coûts fixes à une unité de dépense moindre par kilomètre parcouru est un gage d’efficience et cela permet aux entreprises d’être plus compétitives », a défendu Alexis Gibergues, président de l’OTRE et vice-président de France Logistique lors d’une table ronde. « Et au-delà de cet intérêt économique, la mutualisation contribue à l’atteinte des objectifs de décarbonation. Ça paraît être une évidence, mais cela se heurte également à un problème de compréhension des intérêts que nous avons à massifier. Pourtant un camion mal rempli n’octroie aucun avantage contrairement à un camion rempli, aussi bien du point de vue économique que du point de vue écologique », a-t-il regretté par la suite.
Pour ce dernier, il est aussi important de réfléchir rapidement à la valeur que la mutualisation génère et à son partage a posteriori. « Il faut y penser maintenant pour faire de la mutualisation une réussite. Donneurs d’ordre et exécutants doivent s’orchestrer de façon habile pour poser les jalons du partage de la valeur ». « Avant de la partager, il faut la créer. La mutualisation existe et est déployée par de nombreux acteurs, transporteurs notamment. Pour qu’elle aboutisse, cette collaboration doit être le fruit d’un processus horizontal et chaque acteur doit également apprécier et intégrer les risques qu’il prend en collaborant », a embrayé Denis Choumert, désormais ancien président de l’AUTF.
Mutualiser pour obtenir des gains de compétitivité
En somme, la mutualisation peut générer de nombreux avantages. Xavier-Yves Valère, chef de la mission fret et logistique à la DGITM l’a lui aussi très bien rappelé . « Mutualiser, c’est une question de gains de compétitivité. Et c’est ce qui doit nous permettre de travailler ensemble et ne pas gaspiller nos ressources ». À un moment où le transport n’est pas au mieux, la mutualisation apparaît comme un des meilleurs moyens de gagner des points de compétitivité. « Ce n’est pas un gros mot et il faut en chercher. Pour que l’économie tourne bien, il faut que la logistique tourne également correctement », a assuré Xavier-Yves Valère.
Mais pour mutualiser, il faut aussi rendre visible l’offre existante, les innovations et inciter les acteurs à parler entre eux. Sans cela, difficile de les imaginer travailler ensemble. « Pour mutualiser, les acteurs doivent apprendre le même langage. Nous nous sommes lancés dans une grande aventure : celle de construire une politique de digitalisation ambitieuse, qui sera nécessairement européenne à un moment ou un autre, pour standardiser. C’est un sujet très techno évidemment. Mais c’est en étant capable d’avoir des dataspace communs et un langage commun, en standardisant ce qui doit l’être, que la mutualisation deviendra une évidence », a estimé Xavier-Yves Valère.