Loïc Henaff : « je caresse l’espoir qu’un jour nous sortions du réflexe du tout camion »
Par Mehdi Arhab | Le | Industrie
Dirigeant de l’entreprise agroalimentaire éponyme, Loïc Hénaff est également conseiller régional de la Région Bretagne, en charge du fret. Devant un tissu des plus dynamiques, il pousse à la mutualisation et à penser de nouveaux modes de transport, de manière à accélérer la transition énergétique.
Vous êtes à l’origine de la création du GIE Chargeurs pointe de Bretagne. Quelle est sa vocation ?
Créé en 2010, le GIE est actif depuis 2012. Il est présidé désormais par Nicolas Dagault, directeur des opérations de McBride, fabricant d’aérosol à côté de Quimper et est opérationnellement géré par Thierry Bailleux, à mi-temps.
Un demi-ETP gère l’essentiel des flux et se montre extrêmement efficace, avec plus de 200 000 palettes mutualisées chaque année. L’idée était de mutualiser le transport entre les usines et les plateformes des clients, cela pour plusieurs raisons. Les taux de service d’abord, dont les exigences dans l’agroalimentaire sont extrêmement élevées - de l’ordre de 99 % ; la nécessité de réduire les coûts de non-qualité et d’optimiser le transport ensuite, ainsi que d’obtenir des coûts logistiques contenus. Ces coûts augmentent d’année en année, il est donc essentiel de contenir cette tendance haussière.
En mutualisant notre transport et en contenant les coûts élevés liés à la logistique, nous parvenons à contenir nos émissions de gaz à effet de serre
Quels sont les avantages de la mutualisation ?
En mutualisant notre transport et en contenant les coûts élevés liés à la logistique, nous parvenons à contenir nos émissions de gaz à effet de serre. L’autre grande portée du GIE consistait à favoriser logistiquement les TPE et PME de la région, afin de leur faire bénéficier des volumes des gros, cela grâce à une mutualisation opérée par de grands groupes. Ainsi, nous participons au maintien d’un territoire riche d’activités et en entreprises.
Que représente le poids de la logistique et du transport en Bretagne ?
Il est important et il est encore plus important en Bretagne qu’ailleurs. Là où la France consomme 33 % en énergie au transport, la Bretagne en consomme 38 %. Une preuve de notre surconsommation. La route représente 94 % du transport de marchandises et les camions roulent à 90 % au gasoil. La marche à franchir est immense et nous devons nous mobiliser, d’où le travail que nous menons pour décrire une politique fret plus claire.
Quelles en sont les grandes lignes ?
La multimodalité constitue une priorité de premier ordre, le ferroviaire en tête
La multimodalité constitue une priorité de premier ordre, le ferroviaire en tête. D’autres solutions, comme la démocratisation de biocarburants et la promotion de la mobilité électrique, toujours dans un contexte de multimodalité, sont avancées. Les entreprises devront être le plus ouvertes possibles aux collaborations et aux mutualisations logistiques, plutôt que de déléguer un peu aveuglément leur approvisionnement et leur logistique exclusivement à des transporteurs.
Depuis la création du GIE, les aspects logistiques et transports se sont nettement complexifiés ; le mouvement des Bonnets rouges est passé … Comment percevez-vous ces évolutions ?
Deux choses me sautent aux yeux : le coût de la logistique va croissant, car les prestations demandées aux transporteurs sont de plus en plus pointues, aussi bien en matière d’expertise que de compétences requises. De fait, un renchérissement logique émerge. À cela s’ajoute désormais la hausse des coûts de l’énergie. Reste à savoir vers quoi nous allons et à nous demander comment accompagner nos partenaires de la logistique pour qu’ils s’équipent au mieux. Mais là encore, de nombreuses problématiques se posent, celle du véhicule à utiliser : petits camions électriques, camions à hydrogène, camions alimentés au biocarburant. Or, lorsque vous vous tournez vers des camions de ce type, vous ne pourrez en profiter avant deux ans, tant les chaînes d’approvisionnement sont tendues et les délais de livraison se sont allongés.
S’orienter vers le ferroutage pourrait bien constituer une solution, mais même là, des problèmes de normes et de faisabilité peuvent se poser. La meilleure solution est d’opérer collectivement, en mutualisant, pour trouver une solution adaptée. Cela implique nécessairement un travail commun, mêlant les chargeurs et la région.
La pression de nos clients pour réduire le temps d’acheminement - et également le fonds de roulement - est grande
Sur quels points les prestations sont-elles plus pointues ?
Je pense en premier lieu au fractionnement des commandes et aux taux de service de plus en plus élevés, mais aussi à la capacité des transporteurs à livrer des palettes pré adressées. Sans compter la pression sur la vitesse de livraison … Pour ce qui est de l’entreprise que je dirige, dans le secteur de l’ultrafrais, nous comptons trois départs de camion par jour : un le matin, un à midi et un le soir. La pression de nos clients pour réduire le temps d’acheminement - et également le fonds de roulement - est grande.
En qualité de conseiller régional de la région Bretagne, vous disposez d’une délégation sur le fret. A quelle solutions de décarbonation réfléchissez-vous à l’échelle régionale ?
Un peu plus de 150 millions de tonnes de marchandises sont transportées chaque année de, vers ou en Bretagne. Par ailleurs, près de trois-quarts des flux sont intra régionaux, à savoir des tractions et trajets courts, accessibles sans doute à des énergies nouvelles. Nous pouvons renoncer aux camions diesel. D’ailleurs, je caresse l’espoir qu’un jour nous sortions du réflexe du tout camion. Nos entreprises, qu’importe leur activité, doivent en fractionner l’usage et réfléchir à de nouveaux moyens d’acheminement. Toute la filière doit se réinventer.
Plus nous roulons vite, plus nous dépensons de l’énergie. Rien n’empêche par exemple de voir la vitesse d’un chargement de sable se réduire et son transporteur rouler à 40 km/h
La réduction de la vitesse est un autre grand sujet. Comme le démontre la formule de l’énergie cinétique, plus nous roulons vite, plus nous dépensons de l’énergie. À mon sens, rien n’empêche par exemple de voir la vitesse d’un chargement de sable se réduire et son transporteur rouler à 40 km/h. Si certains matériaux ou matières doivent encore être acheminés par camion ou avion, car c’est indispensable, qui empêche de déplacer 20 tonnes de sable sur des canaux ou sur des voies de chemin de fer la nuit tombée ? Nous devons absolument ventiler le transport par masse, par nature et par vitesse.
Du reste, en anticipant certains approvisionnements et en s’organisant de meilleure manière, nous pourrions considérablement diminuer notre empreinte environnementale. Avec cette approche, nous pourrions mutualiser le transport et user d’autres moyens de transports, du train dans l’Idéal ; mais pas seulement, comme le transport vélique, de façon à réduire encore notre consommation d’énergie et de fioul. Le transport vélique de marchandises n’est plus un rêve, mais bien une réalité, comme le montre parfaitement Grain de Sail avec le transport de son café et chocolat.