Stratégie supply

Biocodex : « Nous bâtissons une supply chain plus résiliente et plus souple »

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Cécile Jolivet est, depuis 2021, directrice achats et directrice supply chain du laboratoire pharmaceutique français Biocodex dirigé par la troisième génération qui réalise plus de 600 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elle pilote le déploiement d’un outil de planification des ventes et des opérations (S&OP) dont les attendus s’annoncent prometteurs.

Cécile Jolivet, directrice achats et supply chain. - © D.R.
Cécile Jolivet, directrice achats et supply chain. - © D.R.

Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre

Depuis la crise Covid, Biocodex a revu son organisation et sa gouvernance supply. Pourquoi et comment ?

Effectivement, après le Covid, la direction a souhaité construire une supply chain plus résiliente, plus forte, plus intégrée avec une solidification de la partie « Demand » et donc S&OP. Les incertitudes et la variabilité de la demande ont un impact fort sur nos usines bien entendu mais aussi sur celles de nos fournisseurs. Biocodex a souhaité renforcer la maîtrise de sa supply chain par une meilleure connaissance de sa demande, donc de sa planification, donc de la partie forecast accuracy et de tout ce qui en découle finalement.

Cela s’est traduit notamment par le renforcement de la fonction supply chain au sein de l’entreprise et la création de mon poste en 2021 avec une casquette cumulée Achats et Supply chain en end-to-end, ce qui n’était pas le cas avant mon arrivée. Depuis quatre ans, je travaille à la mise en place de process sur les sujets planification, S&OP et gouvernance. Pour continuer d’avancer, nous devons maintenant en passer par le déploiement d’un véritable outil de planification des ventes et des opérations : nous avons retenu la solution Maestro de Kinaxis que nous sommes en train de déployer.

Nous avons créé un « Executive S&OP » ce qui permet d’obtenir rapidement et efficacement le bon niveau de communication et d’arbitrage

Quelles ont été les étapes préliminaires ?

L’étape une a consisté, en 2021 et 2022, à retravailler l’implication du business au sein du processus S&OP. Concrètement, cela signifie que nous avons créé des instances de revues mensuelles de la demande avec toutes nos filiales ainsi qu’une instance de pilotage mensuel avec la présence du comité exécutif. Nous avons donc créé un « Executive S&OP » ce qui permet d’obtenir rapidement et efficacement le bon niveau de communication et d’arbitrage. J’estime que cette base constitue le facteur de succès d’une démarche S&OP.

Une fois cela bien établi, nous avons travaillé à la digitalisation et modernisation de la partie visualisation, avec des visuels PowerBI. Toutes nos présentations sont désormais réalisées avec cet outil. En revanche, nous sommes vite arrivés aux limites de prévisions et scénarii possibles avec les outils classiques d’Excel. Je savais dès 2022 qu’il nous faudrait investir. J’avais alors beaucoup échangé avec des confrères ainsi qu’avec des éditeurs : j’en étais arrivée à la conclusion que nous devions d’abord bien établir les process, impliquer les bonnes personnes au bon niveau ainsi que les utilisateurs clés afin d’établir exactement notre besoin au siège et celui des supply chain managers de nos filiales. Et seulement ensuite, choisir l’outil. L’appel d’offres a été lancé en 2024.

Les équipes sont très engagées grâce à ce cheminement qui a duré trois ans

Nous n’en sommes qu’à l’étape de l’implémentation mais nous constatons déjà que nous avons choisi le bon chemin. Les équipes sont très engagées grâce à ce cheminement qui a duré trois ans. Cela facilitera l’adhésion des utilisateurs et permettra une utilisation optimale de toutes les possibilités offertes par cet outil.

Vous avez donc retenu Maestro à l’été 2024 édité par Kinaxis. Quelles sont les prochains jalons ?

Nous avons commencé à travailler sur la configuration de l’outil aux besoins de Biocodex en novembre dernier, le go live est prévu en mai prochain. Nous aurons d’abord quelques pays pilotes puis un déploiement intégral d’ici la fin de l’année 2025.

Je dois reconnaître que c’est un projet très enthousiasmant que je mène avec une équipe engagée et motivée, Bruna Garion, Hugo Mauran, Charles Chevalier qui met tout en œuvre pour que le projet soit un succès collectif. Nous sommes en train de créer une Community Supply Chain managers qui permettra le partage des bonnes pratiques autour de l’outil Maestro mais pas seulement, gage de meilleures performances des équipes Supply Chain de Biocodex.

Qu’allez-vous pouvoir faire mieux maintenant grâce à cet outil ?

Tous les supply chain managers des filiales pourront travailler sur la même plateforme. Ils vont pouvoir établir leurs scenarii concernant leur propre demande locale. De notre côté, en central, nous aurons une meilleure visibilité sur les stocks, une meilleure gestion des lancements et une meilleure maitrise des DLUO (Date Limite d’Utilisation Optimale). Nous irons jusqu’à l’intégration dans l’outil des plans de production, sans toutefois aller jusqu’aux plans d’ordonnancement. Nous pourrons aussi faire, beaucoup plus facilement, des scenarii de charge capacitaire : aujourd’hui, ils sont réalisés manuellement.

Nous souhaitons aussi monitorer la gestion des stocks et voir comment elle impactera la diminution des destructions de stocks

Quels sont les indicateurs de performance que vous surveillerez désormais de manière plus efficiente ?

Très clairement, nous allons surveiller le forecast Accuracy. Nous souhaitons aussi monitorer la gestion des stocks et voir comment elle impactera la diminution des destructions de stocks. Nous avons des dates de péremption de 24 à 36 mois, ce qui peut paraitre largement suffisant pour un écoulement mais dans certains pays, c’est plus complexe car la demande est très volatile. Aujourd’hui, cette problématique est complètement décentralisée, et nous sommes « people dépendants » sur ce sujet. Elle restera décentralisée, mais nous aurons en central une meilleure visibilité, ce qui assurera une meilleure sécurisation.

Idem pour d’autres sujets. Aujourd’hui, une personne de mon équipe consolide tous les fichiers Excel de prévisionnel demande, avant de les mettre dans SAP. Avec tous les risques que cela comporte. Cela sera du temps gagné et de la sécurisation de la data.

Au-delà du déploiement de cette plateforme, quels sont aujourd’hui vos défis en tant que directrice supply chain et achats ?

Le premier défi est de s’adapter aux incertitudes géopolitiques et aux tendances de marché en 2025, dans un contexte de forte variabilité de la demande. Les tensions internationales, comme la guerre en Ukraine ou les perturbations en mer Rouge, ont eu un impact sur nos opérations.

Accompagner la croissance de Biocodex en sécurisant notre supply chain grâce à des partenariats forts avec nos fournisseurs

Un autre défi est d’accompagner la croissance de Biocodex en sécurisant notre supply chain grâce à des partenariats forts avec nos fournisseurs. Nous pouvons porter, par exemple, des co-investissements sur des sites de production de fournisseurs stratégiques. Nous l’avons fait en 2023 et 2024, nous pourrons être amenés à le refaire si la situation le nécessite. Il s’agit d’un axe très fort pour moi que je souhaite promouvoir.

Par ailleurs, les achats responsables représentent aussi un enjeu majeur. Nous travaillons actuellement sur une charte afin de coller à nos enjeux de durabilité, en particulier la réduction de nos émissions carbones.

Concernant la décarbonation justement, avez-vous mené d’autres actions au niveau des achats ou de la supply chain ?

Oui, nous avons déjà avancé significativement sur la décarbonation de notre fret. Par exemple, nous avons mis en place un processus de validation systématique des demandes de fret aérien. Concrètement, cela signifie que je valide tout ce qui concerne l’aérien. L’idée est de s’assurer, à chaque fois, qu’on ne peut pas faire autrement mais aussi de tirer les leçons de ces demandes d’aérien (donc urgentes) et de mettre en place des mesures correctives. Cela a apporté des résultats très positifs : depuis 2023, nous avons baissé les transports par avion de 72 %. Pour la route, nous utilisons des modes de transport décarbonés, nous avons beaucoup travaillé aussi sur les taux de remplissage des camions.

Et puis, il y a toute la partie éco-conception sur laquelle les fonctions supply chain et achats ont un rôle central. Cela nécessite un important travail de veille et de sourcing, ainsi qu’une collaboration renforcée avec les équipes développement. Nous avons construit un plan d’actions pour 2025 sur ce sujet. L’ambition est de mettre en place un « éco-score » pour chacun de nos produits existants et à venir. Nous l’utiliserons notamment dans nos relations avec nos fournisseurs.

Pour terminer, quelques détails sur votre logistique ?

Biocodex dispose de trois usines : notre usine centrale de Beauvais, un site à Cournon-d’Auvergne et un autre au Maroc. Notre logistique tournée vers nos filiales à l’international est gérée depuis Beauvais. En revanche, pour la France, un prestataire est à la manœuvre. Nous expédions 50000 palettes / an.

Biocodex en bref

Société familiale créé en 1953 présente dans plus de 100 pays et dirigée actuellement par la troisième génération

Chiffre d’affaires 2024 : plus de 600 M d’€

Montant des achats : plus de 230 M d’€

Effectif : 1 700 salariés en France et dans ses 17 filiales internationales