Stratégie supply

Vetoquinol : « Aujourd’hui, notre supply chain est visible et contribue aux décisions business »

Par Guillaume Trecan | Le | Industrie

Michel Jeanningros, le directeur supply chain du laboratoire pharmaceutique vétérinaire Vétoquinol fait le point sur le plan de transformation qu’il met en œuvre depuis 2021. A mi-parcours, il a déjà transformé la culture supply chain de l’entreprise afin d’impliquer dans la performance supply chain toute l’entreprise. Il déploie également un nouveau schéma logistique en s’appuyant sur Rhenus.

Michel Jeanningros, directeur supply chain Vétoquinol. - © D.R.
Michel Jeanningros, directeur supply chain Vétoquinol. - © D.R.

Quel est le périmètre sous la responsabilité de la direction supply chain ?

Mon périmètre va de la gestion de la demande, gestion des prévisions, jusqu’au master planning, la logistique et la distribution et le Master Data. Je pilote en direct une équipe de vingt personnes et plus de 200 personnes qui ont une fonction Supply Chain. Le groupe compte 24 filiales commerciales, cinq sites de production et quatre centres de distribution, en Europe, aux Etats-Unis et au Brésil. Des Demands Managers dont j’ai créé la fonction sont présents dans chaque filiale commerciale. Des supply chain managers sont présents sur chaque site de production où ils gèrent la partie approvisionnement planification et logistique.

Cinq fondamentaux : cultures, compétences, S&OP, schéma directeur logistique et gestion de la performance supply chain

Vous portez un projet de transformation. Quelles en sont les grandes lignes ?

La direction supply chain existe depuis 2010 au sein de l’entreprise mais l’ambition associée à ma prise de poste, en mars 2021, consistait à apporter un nouveau prisme sur cette fonction. Jusqu’ici, la supply chain était le coupable idéal des problèmes opérationnels. Nous avons donc mis en place un programme de transformation intitulé Solidarity se focalisant sur cinq fondamentaux : cultures, compétences, S&OP, schéma directeur logistique et gestion de la performance supply chain.

Tout le monde contribue à l’efficience des opérations et à la performance de la supply chain et pas seulement ceux qui ont la fonction dans leur titre

Comment avez-vous abordé le défi du changement de culture de l’entreprise à l’égard de la supply chain ?

L’idée était de faire comprendre que tout le monde contribue à l’efficience des opérations et à la performance de la supply chain et pas seulement ceux qui ont la fonction dans leur titre. Chacun devait prendre conscience de son rôle et de sa responsabilité pour qu’elles fonctionnent bien. A ce titre, l’expérience du Covid, qui s’est traduite par une croissance de 12 % de l’activité, était exemplaire. Les commerciaux doivent par exemple comprendre que, sans prévision de ventes fiables, nous ne pouvons pas livrer. Accompagner par le cabinet de conseil Agilea, nous avons pratiqué un jeu de rôles dupliqué dans les filiales, mêlant usines, vendeurs, approvisionneurs qui a permis de comprendre ce que les reculs et les pics de ventes génèrent sur l’ensemble du flux jusqu’à l’approvisionnement de matière. A partir de cette prise de conscience, nous avons pu expliquer ce que nous attendions de chacun et clarifier les processus de planification End to End.

Si nous voulons avoir un impact favorable sur la top line, il faut anticiper six à huit mois en amont

En quoi a consisté le travail sur les compétences qui a accompagné ces efforts de repositionnement ?

Nous avons professionnalisé, sur l’ensemble des filiales, le métier de Demand Manager avec des formations spécifiques. Cela nous a permis d’améliorer nos prévisions à moyen long terme et d’adapter nos processus et modes opératoires sur la base de nos temps de cycle. Ceux-ci sont assez longs entre l’approvisionnement des matières, la fabrication, libération et expédition de nos produits finis. Nous avons donc mobilisé nos équipes sur la mise à jour des différents paramètres en fonction des prévisions et des aléas de nos marchés. Nous veillons également à systématiquement réduire les temps de cycle dans notre démarche d’amélioration continue. En cas de pics imprévus, chacun à conscience dorénavant de la durée du temps cycle. Si nous voulons avoir un impact favorable sur la top line, il faut anticiper six à huit mois en amont.

Nous avons créé le processus S&OP et nous l’avons positionné au niveau du Codir

D’où votre travail sur le processus S&OP…

Nous avons créé le processus S&OP et nous l’avons positionné au niveau du Codir. Nous avons également des plans directeurs de production sur l’ensemble de nos sites de fabrication et des revues de besoins sur l’ensemble de nos filiales commerciales. Le S&OP passe en comex tous les trimestres avec une focalisation sur les enjeux les plus importants à un horizon 18 à 24 mois.

Avec quels outils d’analyse fonctionne ce S&OP ?

Nous avons créé un S&OP avec des Power BI adaptés à la qualité d’analytique permise par nos outils. L’idée étant de pouvoir nourrir au comex une discussion entre les ventes et les opérations pour avoir une vision commune sur nos produits essentiels aux bornes du Groupe. Nous avons prévu d’étudier et d’ajouter une brique automatisation à partir de 2025.

Nous avons décidé de conclure un partenariat avec Rhenus, afin d’avoir un point unique de distribution pour l’ensemble de nos clients européens

Pourquoi avez-vous ressenti le besoin de revoir votre schéma directeur logistique et de confier votre distribution à Rhenus ?

Nous avons effectué une analyse de notre schéma directeur logistique européen à l’occasion du plan stratégique de Vétoquinol, « Ambition 2026 » afin de nous permettre de développer l’omnicanalité, c’est-à-dire notre capacité à livrer le client là où il est. Le diagnostic nous a montré que nous n’étions pas organisés pour pouvoir le faire. Si nous voulions y parvenir, cela nécessitait des investissements non négligeables sur un sujet qui n’est pas notre cœur de métier. Nous avons donc décidé de conclure un partenariat avec Rhenus, afin d’avoir un point unique de distribution pour l’ensemble de nos clients européens. L’idée étant de massifier et de consolider nos volumes pour nous permettre d’absorber des pics de charge et des flux directs plus efficacement que nous l’aurions fait seul. Ce déploiement est en cours de mise en œuvre en Europe, les premiers flux ayant été traités en octobre 2023.

Quels bénéfices concrets tirez-vous de la massification de vos flux sur le site Rhenus de Strasbourg ?

Le site que nous propose Rhenus à Strasbourg, est très bien localisé par rapport à nos usines en France, en Italie et en Pologne. Strasbourg est aussi très bien positionné par rapport à la typologie de nos clients pour réussir à exploiter des synergies. En parallèle de la standardisation de nos flux logistiques, nous sommes également en train de revoir notre politique commerciale à travers cette massification et nous aurons à l’avenir beaucoup moins de points de distribution.

La révision du schéma directeur logistique nous a permis d’ouvrir un grand nombre de portes pour optimiser et harmoniser la manière dont nous servons nos clients

Quels sont aujourd’hui vos circuits de distribution ?

Notre circuit privilégié est celui des distributeurs et grossistes. Dans certains pays, nous livrons les vétérinaires en direct et dans d’autres, nous sommes en train de développer le retail et l’e-commerce. Notre travail de redimensionnement de notre logistique a justement pour objet de savoir à partir de quel moment il convient de livrer un client en direct et quand le client doit s’approvisionner à travers un grossiste ou un réseau de distribution. La révision du schéma directeur logistique nous a permis d’ouvrir un grand nombre de portes pour optimiser et harmoniser la manière dont nous servons nos clients, sachant qu’ils sont eux-mêmes en train de se consolider.

En quoi a consisté la remise à plat de la mesure de la performance supply chain de Vetoquinol ?

Nous avons redéfini nos KPI. Les KPI de niveau 1 sont les stocks et l’OTIF. Les KPI de niveau 2 sont la précision des forecast, le respect du calendrier du plan de production, la qualité des données. Cela nous permet de responsabiliser chacun sur les bons niveaux d’indicateurs. Désormais, nos commerciaux sont objectivés sur la précision des forecast, ce qui les oblige à comprendre qu’ils contribuent à l’efficience de la supply chain. De même, les objectifs de stocks n’étaient jusqu’ici portés que par la supply chain. Aujourd’hui, ils sont aussi déclinés dans les objectifs de tous les membres du top management, des patrons de pays, des commerciaux, des patrons de sites.

D’ici à 2026, mon ambition porte sur la mise en place des fondations de la supply chain autour du processus S&OP

Que reste-t-il à faire du plan de transformation Solidarity ?

Il était décliné en une première phase 2022-2024 puis 2024-2026. En 2023, nous avons effectué un upgrade de notre ERP, ce qui a fortement ralenti le projet de transformation. D’ici à 2026, mon ambition porte sur la mise en place des fondations de la supply chain autour du processus S&OP : Gestion de la demande ; structuration du MPS pour permettre au S&OP d’anticiper sur les bons sujets ; remise en place des bonnes compétences et des modes opératoires pour exploiter le système d’information à sa juste valeur ; redéfinition du schéma logistique européen.

En définitive, qu’est-ce qui vous paraît le plus décisif dans ce plan de transformation de la supply chain de Vétoquinol ?

Je pense que l’originalité de notre démarche tient au programme de changement culturel qui a permis de remettre la supply chain au bon niveau de l’entreprise. Nous n’étions pas assez visibles, pas assez impactants. Nous avons aussi eu la chance d’avoir la nomination de Dominique Derveaux en tant que DGD en Avril 2020 ; dès sa prise de poste il a très rapidement identifié l’intérêt d’avoir une supply chain forte au sein de notre entreprise. Aujourd’hui, notre supply chain est visible et contribue aux décisions business ; chacun des acteurs est responsabilisé afin de réaliser notre plan stratégique à fin 2026.