Stratégie supply

Arkema : « 23 % de nos volumes de flux terrestres européens impliquent le ferroviaire »


Yves Antoine, directeur achats transport du groupe Arkema, explique comment il s’efforce de continuer à favoriser l’intermodalité pour participer à réduire de 48 % l’empreinte carbone du groupe d’ici à 2030. Il sera Grand Témoin lors des Supply Days, le 5 mars 2025 sur l’atelier « #Décarbonation : quelles mutations intermodales pour réduire l’empreinte environnementale du transport de fret ? ».

Yves Antoine. - © D.R.
Yves Antoine. - © D.R.

Quelle est la part de transport intermodal dans les volumes de fret du groupe ?

Arkema est un groupe mondial qui enregistre 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel avec une présence sur tous les continents et presque tous les pays. Notre activité logistique est régionalisée. Notre logistique en Europe implique plus de 50 sites, avec des flux qui vont de trois palettes à des camions complets. Nous opérons en camion et en ISO tank, notamment en intermodal. Nous opérons 500 wagons de vrac en train conventionnel et beaucoup d’intermodal, soit par des caisses mobiles, soit conteneurisé, soit par ces conteneurs citernes, ou des conteneurs maritimes.

Aujourd’hui, environ 23 % de nos volumes de flux terrestre européens impliquent le ferroviaire. C’est donc une part de marché relativement importante. Cela combine aussi bien l’intermodal que le conventionnel. N’ayant pas complètement structuré nos outils pour tracer l’intermodal en tant que tel, nous faisons des estimations a posteriori pour connaître nos coûts et nos volumes en intermodal.

Quelles mesures avez-vous prises pour faire évoluer ce chiffre ?

Il croît tous les ans mais nous sommes proches de l’asymptote. Les flux éligibles sont, pour la plupart, déjà tous couverts. Pour progresser, nous incluons des questions sur l’intermodal dans chaque appel d’offres et nous demandons à nos prestataires de nous faire des propositions. C’est surtout sur les nouveaux flux que nous pouvons faire croître notre part de ferroviaire. En 2025, nous démarrons, par exemple, un nouveau flux de 5 000 tonnes entre des usines pour lequel nous avons fait le choix de l’intermodal malgré un surcoût de près de 10 %. Sur ce trajet entre le Rhône Alpes et le Sud-Ouest, nous parcourons trois fois plus de kilomètres en ferroviaire, mais nous émettons 12,7 fois moins de CO2.

L’empreinte carbone d’une tonne au kilomètre varie de un à dix entre le camion et le train

Pourquoi le ferroviaire est-il si important que cela justifie ce surcoût ?

Le groupe a pour objectif de réduire de 48 % son empreinte carbone en 2030. Chaque Business unit à ses propres objectifs de décarbonation et recherche ce genre de solutions. Or l’empreinte carbone d’une tonne au kilomètre varie de un à dix entre le camion et le train. Le rapport n’est pas le même en Allemagne où l’électricité est encore carbonée.

Le ferroviaire est aussi un élément de sécurité et, quand on transporte des matières dangereuses, c’est extrêmement important. Il existe également un bénéfice sociétal au transport ferroviaire qui nous évite de faire circuler des camions, d’engorger les villes et les autoroutes. Dans certains cas, c’est même un mode qui peut être plus rapide que le camion. Quand il fonctionne bien, un train peut parcourir 1 000 kilomètres dans la journée, tandis qu’un camion ne fera pas plus de 600 kilomètres.

Enfin, l’intermodal est une solution très facile à mettre en œuvre. En tant que chargeur, vous n’avez aucun investissement, pas de complexité particulière, vous chargez l’unité de transport comme vous chargez un camion. La complexité se trouve en réalité chez le transporteur, qui doit avoir du matériel, le mettre à disposition chez vous, réserver des espaces dans le train et s’assurer de l’équilibre de ses propres flux et des allers-retours de ces matériels.

Quels freins vous empêchent de crever le plafond de verre de ces 23 % ?

Tous les flux ne sont pas éligibles au transport intermodal ou ferroviaire. Une partie de flux sont sur du transport de courte distance où régional pour lequel ces solutions ne sont pas pertinentes. Il faut des distances de 500 kilomètres minimum. Un autre frein tient à la disponibilité des offres. Le maillage français n’est pas le même que dans d’autres pays notamment d’Europe du Nord et de l’Est. Dans certaines régions, l’offre reste très pauvre, notamment dans le Sud-Ouest de la France.

Comment jugez-vous la position des acteurs publics français sur ce sujet ?

La France souffre en effet d’un manque de chantiers intermodaux. Mais la stratégie nationale du fret ferroviaire permet de mobiliser des budgets pour développer des projets. SNCF Réseau a identifié une quinzaine de sites intermodaux à rénover, à redéployer ou à créer. C’est plutôt encourageant. La SNCF a toutefois encore du travail à faire pour dégager des opportunités et des axes au transport intermodal. Nous avons besoin de plus de sillons et notamment dans le gabarit nécessaire pour les trains intermodaux, qui sont des trains plus rapides et avec un gabarit particulier.

La France est un parent pauvre dans l’utilisation de l’intermodale en Europe, à l’inverse de certains pays comme l’Autriche ou la Suisse

Nos voisins européens sont-ils mieux lotis ?

Le maillage est extrêmement dense sur les zones Allemagne et Europe centrale ; l’axe Nord-Sud entre le Danemark et l’Italie ; ou encore sur les axes Allemagne Espagne. Les axes qui desservent la France sont en revanche très peu nombreux. La France est un parent pauvre dans l’utilisation de l’intermodale en Europe, à l’inverse de certains pays comme l’Autriche ou la Suisse qui ont fait le choix de subventionner le rail qui est utilisé y compris pour des distances très courtes.

Comment compensez-vous les surcoûts liés aux ruptures de charge dans les transports intermodaux ?

Pour absorber ces surcoûts liés aux ruptures de charge aux deux extrémités, il faut à la fois que les distances soient suffisamment longues et que les unités soient suffisamment chargées. Cette question est aussi, en partie, couverte par le fait que c’est une activité subventionnée par l’État, via l’aide à la pince. Mais la situation est en train d’évoluer. Nous avions jusque l’an dernier un avantage concurrentiel de compétitivité lié à la charge utile supplémentaire autorisée dans les transports intermodaux. Une dérogation nous autorisait à charger un poids total de 44 tonnes en train au lieu de 40 tonnes en camion. Mais, aujourd’hui, un camion standard aussi peut rouler à 44 tonnes. Les réglementations européennes sont par ailleurs très complexes. Les camions ne sont autorisés à circuler qu’à 40 tonnes hors de France et l’Intermodal est limité à 42 tonnes. Il n’existe donc qu’un petit avantage concurrentiel de 2 tonnes, soit moins de 10 % de charge supérieure.

Quels autres leviers de décarbonation de vos transports mettez-vous en œuvre ?

Nous étudions de plus en plus les sujets de carburation. Nous avançons au cas par, sur certains appels d’offres, avec certains clients. L’autre façon de décarboner c’est de transporter moins et moins loin, donc de travailler sur les distances, les taux de remplissage des camions et la limitation des retours à vide de nos transporteurs.

Il nous reste encore à faire évoluer notre outil pour pouvoir plus précisément mesurer notre empreinte carbone

Que faites-vous pour progresser dans la mesure de vos données de transport ?

Pour faire notre bilan carbone transport, nous avons changé de méthode. Nous sommes passés d’un bilan annuel laborieux, à un suivi dynamique en continu, avec EcoTransIT, le référent en Europe pour le calcul de l’empreinte carbone du transport, avec qui nous avons interfacé notre TMS (Oracle). EcoTransIT calcule l’empreinte carbone de chaque transport unitairement en temps réel. Pour le transport maritime, nous pouvons, par exemple, décomposer la part de préacheminement routiers, de transport maritime, de post-acheminement et appliquer à chacun des facteurs d’émission. Nous pouvons ainsi produire des visions dynamiques de notre empreinte carbone à chaque BU et chaque usine. Cela nous a aussi permis d’améliorer le monitoring de ce sujet en donnant aux opérationnels conscience de leur capacité à agir sur leurs consommations de CO2.

Il nous reste encore à faire évoluer notre outil pour pouvoir plus précisément mesurer notre empreinte carbone. Le flux intermodal dans notre TMS n’a pas été paramétré pour être un flux à part entière, il est en effet assimilé au transport routier. Nous avons également des difficultés à calculer les GES qui viennent de nos fournisseurs de rang 2 qui utilisent des moyens intermodaux. C’est le cas par exemple pour le pré-acheminement par voie ferroviaire où maritime vers les ports. De même les navettes qui circulent en trains entre les plateformes de cross-dock de nos prestataires logistique.