Stratégie supply

HULO : « Le moment dramatique que nous vivons appelle à un nouveau sursaut collectif »


Fabrice Perrot et Jean-Baptiste Lamarche, respectivement président et directeur général de la coopérative logistique humanitaire HULO, tirent la sonnette d’alarme face au désengagement de l’USAID qui entraîne la cessation d’un tiers de leurs opérations humanitaires. Mutualiser sa logistique et ses achats comme l’ont fait les quinze associations humanitaires adhérant à HULO apparait plus que jamais comme un levier de performance indispensable.

Fabrice Perrot et Jean-Baptiste Lamarche. - © D.R.
Fabrice Perrot et Jean-Baptiste Lamarche. - © D.R.

Dans quelle mesure la décision de Donald Trump de mettre en suspens les versements d’USAID affecte-t-elle les organisations qui adhèrent à HULO ?

Fabrice Perrot : Il existe trois catégories d’ONG. Les ONG bénéficiant d’une très grande notoriété telles que Médecins sans frontières constituent leur budget à hauteur de 98 % grâce à la générosité du grand public. Elles sont donc très peu dépendantes des bailleurs de fonds institutionnels. Une deuxième catégorie d’ONG dans laquelle on peut classer des ONG comme Médecins du monde, Handicap international, ou encore Action contre la faim, ont des modèles de financement hybrides et dépendent entre 30 % et 60 % de la générosité du grand public. On retrouve dans la troisième catégorie des ONG comme celle pour laquelle je travaille, Solidarités international, qui dépendent à 96 % de fonds institutionnels.

Jean-Baptiste Lamarche : La coopérative HULO est pour sa part 100 % dépendante des subventions institutionnelles.

Des centaines de projets dans des dizaines de pays s’arrêtent du jour au lendemain, dont certains qui permettent de sauver des vies immédiatement

Quelles sont les conséquences concrètes de la décision du président américain ?

FP : Elle a entraîné la suspension des activités financées par l’Usaid sur le terrain pour les associations les plus dépendantes de fonds institutionnels. Le poids du financement de l’Usaid sur les opérations va de 5 % pour les plus petites ONG jusqu’à 50 % pour certaines. Pour Solidarités international, cela représente par exemple 60 millions d’euros (sur un budget total de 180 millions d’euros). Des centaines de projets dans des dizaines de pays s’arrêtent ainsi du jour au lendemain, dont certains qui permettent de sauver des vies immédiatement : des centres de santé, de la distribution d’aide alimentaire, d’eau potable…

JBL : Quant à la coopérative HULO, elle était financée par l’Union européenne, la France et les États-Unis. L’Usaid nous octroyait une subvention de 100 millions d’euros par an pour notre financement, soit plus d’un tiers de notre budget de fonctionnement. Sachant que, en moyenne, 30 % des activités humanitaires s’arrêtent, nous nous séparons également de 30 % de nos équipes sur le terrain dans les pays d’intervention. Les conséquences concernent aussi les sièges de nos organisations. Un pourcentage de chaque projet étant consacré aux coûts administratifs.

Il s’agirait a priori de suspendre l’USAID pendant 90 jours le temps de passer en revue les projets. Avez-vous un espoir de voir la situation se débloquer ?

Sur les 10 000 personnes employées par l’USAID, la moitié a été licenciée. Quelques jours après cette annonce, face au tollé qu’elle a suscité, il a été question d’une dérogation pour les activités permettant de sauver des vies. Certains ont continué sans garantie de voir financer leurs projets, sachant que USAID déclenche ses paiements à l’issue des opérations engagées sur la foi d’un rapport trimestriel. Nous avons donc un sérieux problème de trésorerie. Ces sommes dues sur des projets engagés font l’objet de batailles judiciaires entre le gouvernement Trump et des juges américains.

Depuis que DOGE a pris le contrôle de l’USAID, le niveau de communication dénote du plus grand amateurisme

Depuis que DOGE a pris le contrôle de l’USAID, le niveau de communication dénote du plus grand amateurisme. Nous pouvons recevoir à quelques heures d’intervalle une information émanent du secrétariat d’Etat nous indiquant qu’un projet est annulé, quelques heures plus tard, nous recevons une information contraire. Nous recevons aussi des mails qui ne nous sont pas destinés. Quand on sait qu’il peut s’agir de projets pesant une vingtaine de millions d’euros, un tel niveau de désorganisation est vertigineux.

JBL : Avec plus de 40 % de l’aide humanitaire mondiale, les Américains avaient un poids démesuré par rapport aux autres pays. Cette place est difficilement remplaçable. Au moins dans les deux années à venir, nous ne pouvons pas compter sur un rebond des autres bailleurs de fonds pour combler ce vide américain. Nous nous engageons donc fatalement sur une phase de décroissance à l’échelle globale de la taille de nos organisations et du nombre de nos opérations. La relève peut, en partie, être prise par des fondations privées.

Nous constatons aussi que cette décision brutale du gouvernement Trump est également révélatrice d’une tendance plus générale. Beaucoup d’Etats européens ont également suspendu l’aide humanitaire, comme par exemple le Royaume Uni qui l’ont transféré vers leur budget d’armement.

La pratique de la coopération sur la logistique et les achats instaurée par HULO pourra-t-elle vous apporter de nouvelles marges de manœuvre ?

FB : D’un point de vue opérationnel, HULO a été créé pour combler le fossé entre les montants nécessaires à nos opérations et ce dont nous disposions. Les besoins humanitaires étaient financés jusqu’à maintenant à 50 % et le retrait américain fait que, désormais, seuls 5 % des projets sont couvrables.

En regroupant notre logistique nous avons fait d’importantes économies d’échelle. Le moment dramatique que nous vivons appelle donc à un nouveau sursaut collectif. Fort des habitudes de travail en collaboration que nous avons construites, nos quinze membres doivent désormais s’appuyer encore plus sur la coopérative pour sauver autant de projets que possible en mutualisant encore davantage leurs forces.

HULO peut notamment aider dans la réflexion sur les nécessaires restructurations de nos organisations, en mettant en place des fonctions partagées par exemple au niveau des Achats. Nous comptons également sur la force de la mutualisation pour poursuivre l’investissement que nous avions entrepris dans le développement de Link, un nouveau logiciel.