Club Supply Chain : Une supply chain agile pour faire face à des risques vitaux
La montée des tensions géopolitique était au menu du dîner du Club Supply Chain du 12 mars, illustrée par le témoignage des fondateurs de la coopérative logistique humanitaire HULO, dans la tourmente de la coupe des aides américaines. Une vingtaine de directeurs et directrices supply chain de secteurs variés ont également partagé leurs craintes et des pistes de solutions.

En guise de hors d’œuvre du diner débat du Club Supply Chain, Thibault Moulin, directeur associé du cabinet Kyu Associés a présenté une synthèse de la 6e édition du Baromètre des risques supply chain publiée par le cabinet Kyu Associés avec l’Amrae, France Supply Chain et l’Ecole des Arts et Métiers. Crises géopolitiques, hausse des coûts, volatilité de la demande, attaques cyber, faillites fournisseurs, pénuries de produits, non-conformité ESG, événements climatiques, manque de main d’œuvre, défaillance logistique… Relevés dans cet ordre par le sondage effectué par Kyu Associés, les risques qui effraient les directions supply chain sont aussi diversifiés qu’il y avait de secteurs d’activité et d’entreprise autour de la table.
Ce que nous avons vécu avec le Covid dans le secteur humanitaire, ce n’était rien par rapport à ce que nous sommes en train de vivre en ce moment
Les deux autres grands témoins de la soirée étaient le directeur général d’HULO (Humanitarian Logistic), Jean-Baptiste Lamarche et Fabrice Perrot, directeur supply chain de Solidarités International et président fondateur de cette coopérative qui unifie les opérations achats et logistique de quinze associations humanitaires. Frappées de plein fouet par la décision de Donald Trump de suspendre les versements dus par USAID, l’agence de développement, à des organisations d’aide internationale, d’un montant estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars, les associations humanitaires sont en première ligne pour témoigner de la montée du risque géopolitique. « Ce que nous avons vécu avec le Covid dans le secteur humanitaire, ce n’était rien par rapport à ce que nous sommes en train de vivre en ce moment », remarque Fabrice Perrot. « Avec les programmes humanitaires qui s’arrêtent ce sont des populations entières qui ne vont plus avoir à manger, plus avoir d’eau potable… », illustre Jean-Baptiste Lamarche.
Penser collectif sur des activités mutualisables peut faire la différence pour pouvoir survivre
Pour le fondateur d’HULO, un espoir réside toutefois dans l’esprit collectif né de la crise Covid, qui cette fois encore pourrait permettre aux membre d’HULO de limiter la casse. « A l’époque les opérations humanitaires ne pouvaient plus compter que sur un avion sur cinq au mieux pour se projeter sur ces terrains d’action. La coopérative a alors été missionnée par l’Union européenne pour coordonner son premier pont aérien humanitaire en consolidant les cargaisons de toutes les associations humanitaires », rappelle Fabrice Perrot qui développe : « la tension budgétaire des organisations pousse tout le monde à restructurer son organisation. C’est à ce moment-là que penser collectif sur des activités mutualisables peut faire la différence pour pouvoir survivre. »
Une hausse des droits de douane de 25 % tuerait la marge, ce qui remettrait en cause la production elle-même
A côté de l’enjeu vital que rencontre l’action humanitaire, les autres enjeux peuvent paraître dérisoires, mais ils n’en sont pas moins vitaux. Ainsi le directeur supply chain aval d’un industriel de l’automobile ayant des sites de fabrication au Mexique explique qu’il déplace désormais plus rapidement ses produits de l’autre côté de la frontière, au Texas, en anticipant une remontée des droits de douane. « Une hausse des droits de douane de 25 % tuerait la marge, ce qui remettrait en cause la production elle-même », reconnaît-il.
C’est tout un équilibre mondial qui est mis difficulté
« C’est tout un équilibre mondial qui est mis difficulté, confirme la directrice supply chain d’un groupe de cosmétique. Nous avons par exemple des usines aux Etats-Unis qui vont livrer des marchés proches, comme par exemple le Canada. La tension entre les deux pays fonctionnant dans les deux sens. Le Canada hésite à se sourcer auprès de nos usines américaines et se tourne très largement vers l’Europe. Mais nous n’avions pas prévu d’avoir de la capacité disponible pour notre filiale canadienne. » Pour bien mesurer toutes les incidences en termes de capacitaire, de transport, de valeur, ou encore d’image des choix alternatifs, la direction supply chain ne ménage pas ses efforts. « Nous produisons des simulations tous les jours pour envisager différents scénario », explique-t-elle.
Nous devons faire face à des changements plus rapides avec une prévision moins grande qu’avant
Laurent Jeaneau, VP Global Business Development Supply Chain Optimization de Geodis note la pression que cela implique sur les équipes supply, une pression qui s’est déjà exercée par le passé au moment du Covid. « Nous devons faire face à des changements plus rapides avec une prévision moins grande qu’avant. Nous avons connu pendant le Covid, des cellules de crise qui sont passées d’une fois par mois à une fois par jour », explique-t-il, confirmant : « cela a un impact sur la capacité des équipes supply chain de nos clients à pouvoir faire face à ces besoins de changement rapide, pour y répondre nous nous appuyons sur nos centres d’excellence et nos outils digitaux ».
L’instabilité politique de ces derniers mois en France n’est pas neutre
Pour le directeur supply chain d’un site de vente en ligne spécialisé le contexte politique est bien en cause dans ces changements. « Nous sommes dans un monde d’une extrême violence : violence des prises de décisions politiques prises du jour au lendemain par rapport à des chaînes logistiques qui ne se restructurent pas du jour au lendemain ». Il rappelle d’ailleurs que le contexte politique national lui-même a créer des aléas délicats à gérer au niveau de la supply chain. « L’instabilité politique de ces derniers mois en France n’est pas neutre ». Elle suscite notamment la frilosité des investisseurs, en particulier sur le marché immobilier, « un paramètre important du monde de la supply chain ».
Le directeur achats et logistique d’un grand groupe foncier confirme en effet anticiper une crise dure face à une probable inflation à venir qui interviendrait dans un secteur de l’immobilier déjà durement frappé par la crise.
La politique n’est évidemment pas seule en cause. Le directeur transport d’un acteur de la grande distribution évoque ainsi sa difficulté à s’adapter à l’instabilité des tendances de consommation. Face à l’inflation, il doit également rogner sur tous les coûts, chercher de nouvelles marges d’optimisation dans la logistique, les achats et les approvisionnements.
Depuis des dizaines d’années, nous avons fait le choix de travailler avec des partenaires
Le directeur supply chain d’une entreprise du secteur agroalimentaire rappelle l’impact du changement climatique sur ses approvisionnements, qui a entraîné l’an dernier une inflation de sa matière première de 250 %. Pour lui la première solution est à trouver dans des relations fournisseurs solides. « Depuis des dizaines d’années, nous avons fait le choix de travailler avec des partenaires. Même avant lorsque les prix étaient plus bas, nous les payions plus cher pour avoir un produit qualitatif et nous les avons accompagnés dans leur croissance ».
Les démarches collectives telles que celle d’HULO ont également apporté la preuve de leur efficacité. Pour abonder dans ce sens, le directeur supply chain d’un groupe pharmaceutique rappelle l’expérience de mutualisation initiée par les industriels de la pharma avec des 3PL multi-clients. « Nous voulons pouvoir utiliser et charger leurs camions pour garder une fréquence de livraison importante vers les hôpitaux tout en mutualisant les coûts », explique-t-il.
Être super connectés en interne avec d’autres fonctions mais aussi avec nos fournisseurs et nos clients
Mais le collectif doit aussi fonctionner en interne, en particulier entre Achats et Supply chain. Une directrice supply chain travaillant « en mode crise » pour une marque américaine emblématique confrontée à un phénomène de boycott et à des pressions réglementaires, insiste : « nous devons être hyper agiles et surtout être super connectés en interne avec d’autres fonctions mais aussi avec nos fournisseurs et nos clients. »
Ce n’est pas seulement une action de la supply chain, cela dépend aussi des Achats et de la stratégie fournisseurs
Le témoignage de la directrice supply chain d’un grand groupe des télécoms rappelle à quel point les phénomènes d’interdépendance sont forts et mouvants. Elle avoue sa forte dépendance aux fournisseurs chinois eux-mêmes dépendants de Taïwan qui produit 60 % des cartes à puce. Et elle invite, elle aussi à mieux communiquer en interne : « ce n’est pas seulement une action de la supply chain, cela dépend aussi des Achats et de la stratégie fournisseurs »
Maîtriser sa supply chain, c’est pouvoir collecter la donnée là où elle se trouve et suivre ce qui se passe en temps réel
Le partage de la data est en effet essentiel pour s’adapter rapidement, comme le rappelle Clément Ritter, Strategic account executive de la plateforme de visibilité de la supply chain Shippeo. « Nous allons pouvoir vous aider sur la partie collecte de la donnée. Maîtriser sa supply chain, c’est pouvoir collecter la donnée là où elle se trouve et suivre ce qui se passe en temps réel », note-t-il.