Thuasne : « Les opérations de croissance externe nécessitent d’ajuster notre organisation »
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Laurent Martinet est le directeur des opérations du groupe Thuasne, fabricant stéphanois de dispositifs médicaux (orthèses, bas de contention etc). L’ETI, présidée par Elizabeth Ducottet, accélère ces dernières années sur les croissances externes à l’international. Une stratégie qui nécessite l’adaptation de son schéma logistique.
Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre
Ces treize dernières années, Thuasne a réalisé six opérations de croissance externe, dont une en 2024. Pouvez-vous revenir sur les étapes les plus importantes ?
Thuasne est restée longtemps sur un focus européen, tout en cherchant à pénétrer le marché américain car celui-ci disposait d’un potentiel très important. Pour être plus pertinent, à partir de 2011, la stratégie a été d’accélérer sur les Etats-Unis grâce à de la croissance externe. Nous avons d’abord repris, aux Townsend Design en 2011, Quinn Medical en 2016, Knit-Rite en 2020 et enfin Corflex cet été. Entre-temps, nous avions aussi acquis Mediband en Suède en 2015, Orthotics Composite au Royaume-Uni l’année suivante et Medical Rehab en Australie.
Lorsque nous avons acheté Knit-Rite en 2020, nous avons décidé de déplacer notre centre de distribution pour les Etats-Unis chez eux à Kansas City
Désormais, vous disposez donc de plusieurs sites industriels aux Etats-Unis. Quelle est l’organisation ? Travaillez-vous sur l’optimisation industrielle et logistique là-bas ?
Forcément, à l’occasion de chaque acquisition, aux Etats-Unis comme ailleurs, nous réfléchissons à intégrer la nouvelle entreprise au mieux dans l’organisation du groupe tant d’un point de vue industriel que supply chain. Par exemple, lorsque nous avons acheté Knit-Rite en 2020, nous avons décidé de déplacer notre centre de distribution pour les Etats-Unis chez eux, à Kansas City alors qu’il était jusqu’ici chez Townsend Design (notre unique site industriel jusqu’alors). Géographiquement, Kansas City est beaucoup plus pertinente que Bakersfield en Californie, car la ville est plus centrale. Cela avait permis de régler une difficulté aux Etats-Unis sur la question des délais de livraison : livrer la Côte Est depuis la Côte Ouest nécessitait trop de temps. Or, dans le domaine médical, le patient n’attend pas. Désormais, tous les produits du groupe fabriqués aux Etats-Unis, sont expédiés depuis ce site pour le marché américain mais aussi pour les marchés export proches.
Et pour le marché européen ?
Là, nous stockons dans nos centres logistiques en France ou en Allemagne et nous distribuons directement aux clients européens.
Concernant Corflex, acquise cet été, quel est le schéma mis en place ?
Corflex fabrique des genouillères et des produits orthopédiques souples. Il s’agit d’une PME de 150 personnes environ, avec un siège à Manchester (New Hampshire) et une usine en République dominicaine. Pour l’instant, nous sommes en phase d’observation afin de bien comprendre et voir comment améliorer les performances industrielles. Nous fabriquons certains produits similaires ici en Europe : un des points de réflexion porte donc sur, éventuellement, une nouvelle répartition de la production. Qu’est-ce que nous fabriquerons majoritairement là-bas, qu’est-ce que nous fabriquerons en Europe ? L’arbitrage se fera selon plusieurs critères. Notamment, à qui s’adressent les produits… Pour les clients américains, l’idéal, en matière de RSE, serait évidemment de laisser une fabrication à proximité. D’autres critères concernent les compétences techniques, la performance, la qualité, la capacité à livrer rapidement. Il nous faudra un an environ pour bien envisager la situation sous tous les angles.
Notre ambition est bien d’étendre l’étendard Thuasne
Est-ce que sa marque va perdurer ?
Cela ne relève pas de mes compétences. Cela étant dit, jusqu’à présent, toutes les entreprises que nous avons reprises fabriquent et commercialisent désormais des produits portant la marque Thuasne. Notre ambition est bien d’étendre l’étendard Thuasne mais pour l’instant, le nom Corflex perdure, nous aviserons à moyen terme.
Au-delà des Etats-Unis, quelle est l’organisation industrielle ?
Nous avons des usines en Tchéquie et en Roumanie, nous en avons deux en Allemagne et deux en France. Nous regardons aussi pour ouvrir de nouvelles unités de production au Maghreb et au Mexique. La répartition de notre production en Europe est agencée selon plusieurs critères. Nous essayons de conserver en France les technologies avec le plus de valeur ajoutée. En revanche, en Roumanie par exemple, nous faisons les produits ou les étapes nécessitant beaucoup de main-d’œuvre.
Et concernant votre logistique européenne ?
Le centre de distribution principal en Europe, se trouve en France, à Saint-Etienne près de notre siège social. Nous en avons un autre, plus modeste, en Allemagne.
Nous avons un chiffre d’affaires croissant et, en parallèle, des paniers moyens de nos clients en diminution
Vous avez annoncé des investissements récemment à Saint-Etienne sur la logistique. Pouvez-vous nous les détailler ?
Nous avons un chiffre d’affaires croissant et, en parallèle, des paniers moyens de nos clients (les pharmaciens et les grossistes) en diminution car il y a probablement une volonté de leur part de limiter leurs stocks. Ce qu’ils peuvent se permettre de faire puisqu’ils savent que nous offrons une logistique performante. Cela nous amène à devoir augmenter nos capacités de préparation sur notre principal site européen de distribution, à Saint-Etienne. Nous avons investi 700 000 euros cette année dans des matériels plus performants, nous avons également recruté. Nous devons absolument maintenir notre qualité et nos délais avec des livraisons assurées à J+1 pour toutes les commandes passées avant 15 heures pour la France. Aujourd’hui, nous sommes en capacité de préparer quotidiennement 10 000 commandes. C’est une des applications d’un leitmotiv de notre présidente, Elizabeth Ducottet : la santé n’attend pas. Il faut bien comprendre qu’un patient qui s’est blessé ne va pas attendre son produit pendant trois jours.
Nous avons profité de ces investissements pour initier l’installation de machines d’emballage adaptées à un nouveau format de cartons d’expédition permettant de diminuer la consommation de cette matière. Cela permet aussi de réduire le nombre de camions nécessaires.
Et dans les années à venir, d’autres perspectives d’optimisation de votre logistique ?
Nous envisageons de pousser encore plus nos capacités car le groupe grandit. Nous réfléchissons à une automatisation. Par ailleurs, nous sommes en train de racheter un bâtiment industriel (10 000 m² environ) rendu disponible par la liquidation d’une entreprise stéphanoise, dont les locaux étaient à proximité immédiate des nôtres. Il s’agissait d’une opportunité immobilière très intéressante.
Les process d’acquisition sont en cours et les réflexions sur la destination de cet espace ne sont pas encore arrêtées mais deux projets pourraient cohabiter. L’un concerne notre ambition pour faire grandir notre logistique avec des capacités additionnelles. L’autre porte sur une nouvelle usine de production : une unité moderne qui permettrait de rassembler sur un même lieu des productions aujourd’hui réparties sur nos quatre sites stéphanois. Cela permettrait d’optimiser nos flux. Cette usine pourrait potentiellement accueillir aussi de nouveaux produits, très techniques, comme ceux du Canadien Bionic Power dans lequel nous avons pris une participation il y a quelques semaines et qui fabrique des orthèses intelligentes.
Je précise qu’il ne s’agit que d’une hypothèse de travail : nous évaluons actuellement sur quelle usine nous produirons les éléments destinés à ces orthèses pour le marché européen. En synthèse, rien n’est encore défini pour ce nouveau site, tout est à construire, la stratégie est encore en réflexion. Une mise en production ne se fera certainement pas avant 2026 ou 2027.
En chiffres
Effectif total : 2 400 collaborateurs
Chiffre d’affaires (2023) : 281 M d’€, dont 50 % à l’export
15 sites industriels en Europe (dont 5 en France), Amérique du Nord et Afrique