Stratégie supply

Lapeyre : « Une supply chain unique, de bout en bout, au service du client »

Par Guillaume Trecan | Le | Industrie

Pierre Coustenoble, directeur supply chain de Lapeyre détaille la contribution de sa fonction au redressement de l’entreprise. Lapeyre ambitionne de tirer le meilleur de sa double culture retail et industrielle. Ce redressement passe par l’intégration de la supply au comex groupe et le déploiement de huit plateformes de crossdocking.

Pierre Coustenoble, directeur supply chain de Lapeyre. - © D.R.
Pierre Coustenoble, directeur supply chain de Lapeyre. - © D.R.

Quel est le rôle de la supply chain dans le plan de redressement de Lapeyre ?

Initialement, il y avait deux supply chain dans l’entreprise, une supply chain industrie et une supply retail. Nous avons accompli l’objectif d’avoir une supply unique, de bout en bout, au service du client. Remettre le client au centre va de pair avec un objectif de maîtrise des coûts. Améliorer l’accessibilité de nos produits pour les clients implique d’avoir des prix compétitifs et cet enjeu passe aussi par une meilleure gestion de la supply chain.

Cette ambition se traduit-elle par des investissements dans les assets logistiques ?

Nous avons neuf usines réparties partout en France. Jusqu’à il y a peu, chacune d’entre elles livrait l’ensemble de nos magasins, ou du moins les 85 magasins sur nos 126 points de vente qui peuvent recevoir des livraisons. Certains de nos magasins, comme par exemple nos boutiques parisiennes, sont plutôt des showrooms. En 2019, nous avions ouvert un entrepôt de 72 000 m² presté par Kuehne+Nagel à Mer (41) qui traite les 25 % à 30 % de produits que nous achetons. Nous fabriquons près de 65 % des produits que nous commercialisons. Le reste étant des produits achetés au négoce, directement livrés dans nos magasins.

Nous avons décidé d’ajouter à ce dispositif huit plateformes de crossdocking, principalement destinées pour l’instant à reprendre les flux des usines

Nous avons décidé d’ajouter à ce dispositif huit plateformes de crossdocking, principalement destinées pour l’instant à reprendre les flux des usines. Nous sommes actuellement en phase de déploiement. Nous avons ouvert trois plateformes depuis mi-décembre 2022, à Saint-Ouen l’Aumône avec Labatut, à Lyon avec Geodis et à La Chapelle-Saint-Luc avec Raud. Cinq autres vont ouvrir d’ici septembre 2023.

Lapeyre traite les produits achetés pour revente depuis un entrepôt de 72 000 m² presté par Kuehne+Nagel à Mer. - © D.R.
Lapeyre traite les produits achetés pour revente depuis un entrepôt de 72 000 m² presté par Kuehne+Nagel à Mer. - © D.R.

 

L’objectif du cross-docking consiste donc à massifier nos flux et faire en sorte que des camions complets partent de nos usines

Quels bénéfices attendez-vous de ces nouvelles plateformes de crossdocking ?

Etant donné notre nombre d’usines et de magasins, nous n’avons pas la possibilité d’expédier des camions pleins. L’objectif du cross-docking consiste donc à massifier nos flux et faire en sorte que des camions complets partent de nos usines pour livrer une zone géographique, à partir de laquelle nos transporteurs viendront redistribuer nos produits aux magasins. Dès lors que ce dispositif de plateforme sera complet, nous commencerons, à partir de janvier 2024, à gérer l’ensemble de nos plannings de livraison pour les optimiser en amont et en aval des plateformes. Le bénéfice sera à la fois économique et au niveau du service. Indirectement, la consolidation de nos flux nous permettra aussi d’augmenter la fréquence des livraisons en magasin. Ce déploiement, qui favorisera le taux de remplissage des camions, a enfin un intérêt d’un point de vue RSE.

Si ces plateformes de crossdocking sont aujourd’hui uniquement destinées au flux de nos usines, nous pourrons les utiliser demain pour certains de nos fournisseurs. Il se peut que nous trouvions en effet intéressant pour certains fournisseurs qui passent aujourd’hui par notre entrepôt central de faire en sorte qu’ils livrent directement les magasins depuis une plateforme. A terme, nous devrions pouvoir livrer directement des clients depuis les plateformes plutôt que de transiter par les magasins.

La mise en œuvre de toutes ces évolutions s’accompagne-telle d’un repositionnement de la supply chain dans l’organisation de l’entreprise ?

Avant réorganisation, l’entreprise comprenait un codir distribution et un codir retail. Un comex unique chapeaute désormais l’ensemble et la fonction supply chain y est intégrée. Elle est composée de quatre pôles : un pôle industrie ; un pôle supply amont qui pilote la partie fournisseur, prévisions de ventes, approvisionnement ; un pôle logistique qui pilote nos moyens (transport, entrepôts, crossdocking) ; et un pôle supply magasin qui gère à la fois le stock, les process logistiques en magasin et les livraisons clients. Cette dimension est chez nous complexe parce que nous gérons des projets clients assez importants qui demandent souvent aux magasins un travail de consolidation d’approvisionnements et de coordination avec les installateurs.

Nous réalisons en effet 90 % de notre activité sur des commandes livrées à nos clients

Que représente l’effectif sous votre responsabilité ?

En plus des quatre pôles décrits précédemment (pôle industrie, pôle supply, pôle logistique, pôle supply magasin, la fonction supply chain comprend une équipe centrale d’une quarantaine de personnes. Elle est constituée d’une équipe transport et d’une équipe ADV au service des magasins qui est fondamentale dans notre organisation. Nous réalisons en effet 90 % de notre activité sur des commandes livrées à nos clients. Nous leur devons une information la plus rapide et précise possible. En plus de cette équipe centrale, nous travaillons avec une centaine de prestataires employés par Kuehne+Nagel dans notre entrepôt central de Mer, près d’Orléans. Les effectifs supply dans les usines représentent environ 200 personnes et les effectifs logistique dans les magasins 300 personnes.

L’amélioration de l’accessibilité des produits pour les clients est citée parmi les objectifs clés du plan de redressement. Comment y contribuez-vous ?

Cela concerne essentiellement les délais de livraison. Nous avons pour cela l’avantage déterminant de fabriquer dans nos usines une part importante des produits que nous vendons. Nous nous efforçons de remettre un peu plus de stock disponible pour des produits qui correspondent à des chantiers clients qui peuvent être faits rapidement, comme par exemple des meubles de salle de bain. La troisième dimension de l’accessibilité de nos produits, c’est évidemment le prix. Et ce modèle de fabricant-distributeur sans intermédiaire nous assure un meilleur prix pour le consommateur.

Le fait que nos produits soient fabriqués en France nous rend moins sensibles aux aléas du transport international

Le fait d’avoir cette fabrication intégrée a-t-elle été un atout dans le contexte de pénurie sur les approvisionnements de certaines matières ?

Lorsque nous achetons de l’aluminium pour fabriquer des fenêtres, nous subissons les tensions sur ce marché comme tout le monde, mais nous bénéficions, avec nos usines, de plus de visibilité que celle que nous donnaient nos fournisseurs au plus fort de la crise. De même lorsque nous achetons des billes de PVC pour fabriquer des profilés PVC, nous sommes beaucoup moins sensibles à ces tensions que lorsque nous achetons des profilés. Le fait que nos produits soient fabriqués en France nous rend moins sensibles aux aléas du transport international.

Que change concrètement l’introduction du crossdocking dans l’organisation des opérations ?

Auparavant, chaque usine était indépendante et travaillait ses tournées de livraisons des magasins de manière autonome. Chaque usine doit maintenant s’inscrire dans un schéma d’organisation global et accepter, par exemple, d’envoyer la veille avant 14 heures ses volumes pour pouvoir organiser le volume aval de la plateforme.

Les équipes ayant elles-mêmes construit le projet, nous avons moins de problèmes de gestion des changements

Comment avez-vous géré la partie conduite du changement ?

Après mon arrivée en juin 2021, nous avons organisé des cessions de travail avec tous les responsables supply chain pour leur faire dégager des pistes de solution sur ces sujets d’accessibilité des produits et d’optimisation des coûts. L’idée d’introduire le crossdocking a émergé de ces réunions. Les équipes ayant elles-mêmes construit le projet, nous avons moins de problèmes de gestion des changements et d’embarquement. Le fort attachement des collaborateurs à Lapeyre incite également tout le monde à accepter de changer ses habitudes.

… et comment orchestrez-vous le rapprochement des cultures supply industrie et supply retail ?

La réorganisation a rapproché deux fonctions qui avaient des cultures très différentes : l’industrie une culture de la planification moyen long terme, le retail, une culture plus axée sur la réactivité. Elles ont en commun une pratique de l’optimisation permanente. Elles se retrouvent et partagent leur culture sur les projets de transformation. Depuis le lancement de la transformation, nous nous sommes réunis pour quatre événements comprenant des ateliers de travail collectifs, dont le dernier s’est tenu en janvier dernier.

Nous avons lancé un appel d’offres pour un TMS qui nous permettra de gérer tous ces flux

Avez-vous mis en place des outils pour organiser le partage d’informations nécessaires à la planification ?

Nous avons mis en place un système très simple d’échange de données et nous avons lancé un appel d’offres pour un TMS qui nous permettra de gérer tous ces flux. Nous arrêterons notre choix cet été pour un déploiement en début d’année. En parallèle le groupe se dote d’un certain nombre d’outils, notamment une data plateforme sur laquelle nous allons connecter le TMS, qui va collecter les données dans tous les systèmes et exploiter beaucoup plus de données qu’aujourd’hui. Le TMS doit aussi nous aider à mesurer nos objectifs CO2.

Cet aspect RSE est capital et fait partie intégrante de notre stratégie. Outre l’optimisation de notre transport via le cross dock mais aussi via l’optimisation de nos chargements, nous avons développé la récupération des palettes bois en magasin avec l’outil Opalean, et nous testons actuellement divers types de palettes réutilisables en métal et plastique pour réduire notre utilisation de palettes perdues.