Aresia : « Nous devons aider nos sous-traitants et fournisseurs à avancer à nos côtés »
Par Mehdi Arhab | Le | Industrie
Nommée en novembre dernier VP Supply Chain groupe d’Aresia, jeune ETI qui monte dans l’industrie de l’aéronautique militaire et civil, Mélanie Bulourde a entamé sa mission dans un contexte particulièrement animé, mais en tout point challengeant. À la tête de la Supply Chain Europe et Eurasie de Stellantis jusqu’ici, elle revient pour nous sur les grands enjeux de sa nouvelle entreprise, de sa direction et de son entrée en fonction.
Quelle place occupe la supply chain d’Aresia au sein des activités du groupe ?
Ma nomination intervient dans un contexte de mise en avant de la Supply Chain. La fonction existait, mais avec la création d’Aresia en tant que tel, notre CEO souhaitait positionner la direction au cœur de la transformation du groupe et en faire un atout. Nous voulons être reconnus pour l’excellence opérationnelle de notre Supply Chain. Or, nous savons à quel point cela est difficile, d’autant plus aujourd’hui dans le domaine de l’aéronautique. Le secteur est à un pivot de son histoire. C’est la première fois depuis plusieurs dizaines d’années que le civil et le militaire sont simultanément en montée en puissance significative. Le challenge est énorme pour ce qui est de tenir nos taux de services vis-à-vis de nos clients. Il nous faut donc voir plus loin pour y parvenir.
Nous sommes sur des cycles produits très longs, avec des particularités et matières très spécifiques homologuées.
Nous sommes sur des cycles produits très longs, avec des particularités et matières très spécifiques homologuées. Certaines sont d’ailleurs actuellement en pénurie. Nous visons ainsi à nous positionner sur des cycles S&OP qui rappellent quelque peu ceux de l’automobile dans leur rigueur et leur fonctionnement central au niveau de l’entreprise, couvrant néanmoins des horizons bien plus longs, de 36 mois minimums. Il nous faudrait même couvrir cinq ans notamment sur la partie matière pour bien sécuriser notre chaîne d’approvisionnement.
À quels enjeux êtes-vous confrontée et comment votre feuille de route y répond-elle ?
Nous comptons 11 sites industriels de taille différente, tous établis en France. Chaque site possède aujourd’hui une supply chain en propre. Le plus important est celui de Valenton, avec plus de 200 personnes actives. Certains sont plus matures que d’autres. Je suis pour le moment seule représentante de la fonction globale, animant en transversal l’activité supply chain de l’ensemble des sites. Nous avons une roadmap de transformation commune, qui continue d’être enrichie afin de tirer tout le monde vers le haut.
L’équipe centrale est amenée à grandir, pour notamment renforcer en profondeur la partie demand planning ainsi que la partie approvisionnement / gestion fournisseurs. Pour ce qui est de la partie demand planning, nous devons impérativement concaténer et valider l’ensemble des données que nous recevons. Nous avons en ce sens d’excellents échanges avec nos clients, parmi lesquels Dassault, Airbus (Atlantic & Helicopters) ainsi que Safran et tout un historique à exploiter. Si cette notion existait dans les sites, elle n’était pas centrale. Nous étions sur des commandes affermies relativement lointaines et cela ne paraissait pas nécessaire de façonner la partie S&OP. Pourtant, avec autant de sites, nous devons le faire pour planifier à long terme afin de donner la visibilité nécessaire à nos approvisionneurs de matières et sous-traitants.
Les commandes de Rafale aujourd’hui pleuvent et nous obligent à accélérer la cadence pour livrer en temps et en heure notre client
Nous avons, depuis mon arrivée, travaillé en profondeur sur la partie appro, en raison de la conjoncture que connaît le secteur. À la suite de la pandémie de Covid, certains fournisseurs/sous-traitants ont disparu et la problématique d’approvisionnement n’a fait que s’amplifier. Dans un monde où tout fonctionnait plus ou moins bien, des difficultés sont apparues. Et pourtant, compte tenu du ramp-up du secteur, nous devons livrer plus tôt et à des cadences plus importantes, cela sans que la chaîne d’approvisionnement n’ait pu être suffisamment préparée en amont. Nous avons dès lors mis en place des processus pour mieux travailler à notre niveau et avec nos fournisseurs. Nous tablons désormais sur un processus d’escalade fournisseurs commun à tous les sites et avons mis en place depuis le début de l’année une équipe dédiée pour travailler sur la performance de nos fournisseurs, les accompagner, faire des revues de carnets de commandes et prioriser lorsque le capacitaire fait défaut. Si le civil était habitué à travailler de la sorte, le militaire beaucoup moins. Les commandes de Rafale aujourd’hui pleuvent et nous obligent à accélérer la cadence pour livrer en temps et en heure notre client. Les besoins sont énormes sur les systèmes d’emport et les roues que nous manufacturons. Il nous faut structurer, sécuriser cette partie opérationnelle et apprendre à travailler en crise.
Quels sont les grands chiffres à retenir de la Supply Chain d’Aresia ?
Il me semble difficile d’évoquer nos volumes, car nous avons d’un côté des usines qui fournissent des petites pièces (telle la visserie) donc des quantités astronomiques et de l’autre, des usines qui produisent des pylônes de plusieurs mètres de long. Les flux à administrer sont de fait très différents d’un site à l’autre. Pour en venir aux chiffres globaux, nous visons 180 millions d’euros de chiffre d’affaires sur notre prochain exercice fiscal. Nous voulons croître, aussi bien de manière intrinsèque que par des opérations de croissance externe. Nous avons un objectif affiché : celui d’atteindre 250 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici à 2025. Cette ambition traduit finalement le nombre important de commandes reçues, mais aussi les problématiques capacitaires de nos fournisseurs à gérer.
D’où finalement la nécessité aussi de travailler minutieusement la partie S&OP. Nos clients ont confiance dans notre projet de transformation ; à nous désormais d’être au niveau de cette confiance, en faisant en sorte que nos sous-traitants et fournisseurs soient en mesure de suivre. Si nous avons des capacités installées en propre assez importantes, cela n’est pas leur cas. La chaîne d’approvisionnement et nos sous-traitants doivent donc être observés et surveillés. Nous sommes dans un milieu qui requiert des procédés spéciaux, qualifiés et il n’est pas évident d’étendre le panel ou de resourcer. Nous devons aider nos sous-traitants et fournisseurs à avancer à nos côtés.
La partie opérationnelle et la supply chain doivent reposer sur l’ensemble de nos sites avant tout !
L’ensemble de la population supply chain représente 60 à 70 personnes, toutes réparties sur nos sites donc. La structure globale ne sera pas démesurée, ne devant regrouper que quelques experts et demeurer agile. La partie opérationnelle et la supply chain doivent reposer sur l’ensemble de nos sites avant tout ! J’ai aujourd’hui en tête deux recrutements, sur les parties que je citais précédemment. Sur la partie transport, nous avons des flux gérables, administrés par nos sites. Si je nous trouve mature en la matière, il reste à voir si nous aurons besoin de structurer cette partie dans les mois qui viennent. Mais notre volonté est de poursuivre de la sorte à ce sujet. Me concernant, je rapporte au directeur des opérations du groupe, Stanislas Frein, membre du Comex, qui est lui-même rattaché à notre CEO.
Votre entrée en fonction est particulièrement animée. Comment pilotez-vous le tout ?
La première particularité à laquelle nous faisons face est le multisites. Dans l’automobile elle existe aussi, mais les sites font tous la même chose. Ce qui n’est pas le cas chez Aresia. Les sites ont des maturités différentes, des produits et clients différents et, forcément, des cycles différents. La feuille de route doit englober ce tout, uniformiser tout en prenant en compte les spécificités de chacun et de leur cycle. Il est bien entendu difficile de programmer sa commande de vis 36 mois à l’avance, de fait nous nous efforçons d’améliorer la pertinence de nos forecasts et de nos hypothèses statistiques ou historiques. Les produits Rafale, comme les pylônes, accrocheurs ou éjecteurs, sont liés aux commandes en cours.
Avec un tel schéma de transformation, il nous faut avancer pas à pas
En outre, le secteur connaît une transformation importante. Le civil prenait dernièrement le pas sur le militaire, mais ce n’est plus aussi vrai depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le militaire gagne en vitesse et en exigence. L’ensemble de la chaîne est obligé de suivre, avec un niveau d’excellence opérationnelle encore à atteindre. Cela passe par la Supply Chain mais aussi au niveau des ateliers. Le lean manufacturing est en effet l’un des fers de lance de notre roadmap. Avec un tel schéma de transformation, il nous faut avancer pas à pas. Nous devons remettre tout le monde à niveau avant de passer au sujet suivant, en vérifiant que nous ne sommes pas en train de glisser. C’est la roue du progrès ! Je salue d’ailleurs la réactivité des équipes. Toutes suivent et leurs progrès sont notables, preuve d’un engagement fort.
Vous évoquiez la mise en place d’une équipe dédiée à la performance de vos fournisseurs. Quel type de support alloue-t-elle à vos fournisseurs et sous-traitants ?
Nous ne nous positionnons pas sur un support financier, car nous ne le pouvons pas. En revanche, la mise en place de cette équipe Supplier Quality Development reflète notre degré de coopération avec nos fournisseurs. Nous ne nous inscrivons pas seulement dans une relation transactionnelle client-fournisseur, mais bien dans une logique de partenariat resserré et d’échanges constructifs. Pour ce faire, nous nous calquons sur leurs besoins, que ce soit du support au niveau de la gestion de leur propre supply chain, du prévisionnel pour qu’ils puissent s’organiser et de la priorisation lorsqu’ils connaissent des difficultés capacitaires … Beaucoup de nos fournisseurs, manquant d’information sur la matière, réclament aujourd’hui un soutien sur leurs propres fournisseurs de rang 2.
Certains nous demandent de les aider à trouver des équivalences. Nous travaillons pour cela intensément avec notre direction technique. Nous avons récemment rencontré des problématiques de relais électriques. Pour y répondre, nous avons travaillé avec notre usine qui en fournit pour définir ce que nous pourrions proposer en remplacement et ainsi débloquer la fabrication de notre pièce chez notre fournisseur.
Dans quelle mesure êtes-vous associée aux décisions de votre schéma industriel ?
La supply chain est complètement associée à ce choix, car le sujet, très lié à notre chaîne d’approvisionnement, doit nous permettre de mieux fonctionner avec nos tiers amont.
Avec le rapprochement des six PME qui constituent Aresia aujourd’hui et de leurs usines, une réflexion stratégique se pose, tout comme la question de la rationalisation de notre empreinte carbone. La fermeture de site n’est pas à l’ordre du jour, le rapprochement de certains produits sur des sites l’est en revanche. Nous voulons identifier des sites leaders, un sur la partie militaire, l’autre pour le civil, afin de créer des pôles de compétences et d’excellence par typologie de produits de manière à répondre aux questions de nos clients. La supply chain est complètement associée à ce choix, car le sujet, très lié à notre chaîne d’approvisionnement, doit nous permettre de mieux fonctionner avec nos tiers amont.
Justement, quelles sont vos ambitions en matière de décarbonation de vos opérations ?
Nous travaillons avec l’organisme EcoVadis pour avoir une idée plus claire de ce que représentent nos sites en matière de rejets carbones. Nous avons également une roadmap, année par année, de réduction de nos émissions et avons signé la charte Ecowatt. Nous avons mis en place un dispositif de régulation de l’ensemble de nos dépenses énergétiques. Le tout est piloté par un cercle d’éco-ambassadeurs. Nous en comptons un par site. Ils s’assurent de la bonne application du plan de sobriété énergétique et partagent leurs bonnes pratiques. Cela fonctionne, en témoignent nos dernières mesures qui portent sur le second semestre 2022 et le début d’année. En effet, nous constatons une diminution de notre consommation énergétique de 15 % sur certains de nos sites.
Et en matière de digitalisation ?
Nous avons 6 ERP pour 11 sites. Difficile donc d’avoir facilement des reporting globaux Aresia sur l’ensemble de nos fournisseurs. Cette multiplicité est très énergivore, en temps et en ressources, humaines comme financière. Bien heureusement, nous utilisons Power BI, mais nous ne devons pas nous en satisfaire et nous arrêter-là. Nous avons un projet de migration vers un ERP unique à moyen terme, avec une rationalisation à court terme. En outre, nos clients, Dassault, Airbus et Safran, sont très moteurs dans la digitalisation, avec une bascule en cours sur du full EDI, afin de ne plus nous appuyer sur les outils basiques type Excel. La maturité est encore une fois fonction des sites.
Chaine d’approvisionnement, décarbonation, le résumé de la supply chain d’Aresia :
La supply chain d’Aresia concerne 60 à 70 personnes réparties sur 11 sites logistiques établis en France. Sur le prochain exercice fiscal, le groupe vise 180 millions d’euros de chiffre d’affaires avec l’objectif d’atteindre 250 millions d’ici à 2025.
Dans cette perpective de croissance, l’équipe centrale est amenée à grandir, pour notamment renforcer en profondeur la partie approvisionnement / gestion fournisseurs. Le groupe mise sur un processus d’escalade fournisseurs commun à tous les sites logistiques, dans une logique de partenariat resserré et d’échanges constructifs.
En matière de décarbonation, le groupe met en place un dispositif de régulation de l’ensemble des dépenses énergétiques, et constate une diminution de consommation énergétique de 15 % sur certains des sites logistiques. Ses clients tels que Dassault, Airbus ou Safran, sont d’autre part très moteurs en matière de digitalisation.