Stratégie supply

Ynsect : « Etant pionniers, nous devons créer une supply chain sécurisée et flexible »

Par Guillaume Trecan | Le | Industrie

Témoignage sur la construction d’une organisation supply chain « from scratch », avec Guillaume Mazin, directeur supply chain de la startup Ynsect, productrice de protéines à base d’insectes. Un pionnier industriel français dont le premier site de production vient de démarrer à Amiens et qui doit s’étendre ensuite au Mexique et aux Etats-Unis.

Guillaume Mazin, directeur supply chain. - © D.R.
Guillaume Mazin, directeur supply chain. - © D.R.

Alors que la production industrielle série d’Ynsect démarre cette année, comment avez structuré l’organisation Supply Chain ?

Ynsect a été créée il y a une dizaine d’années et se structure industriellement depuis environ cinq ans, d’abord sur le site pilote de Dole, puis celui d’Amiens, en cours de mise en service. L’organisation de cette usine, baptisée YnFarm, qui figure le modèle des autres usines que nous développerons, comprend un responsable supply chain pilotant un responsable planning, un responsable approvisionnement, un responsable service client et des opérateurs logistiques. En centrale, je pilote une direction supply chain composée de deux autres personnes, un responsable Demand Management et un responsable Supply Management, avec qui nous organisons et planifions la supply chain sur un horizon un peu plus lointain que celui des sites. A l’avenir, nous adapterons cette organisation au fur et à mesure que les sujets gagneront en importance, par exemple en créant une fonction de responsable transport ou encore de responsable d’un pôle logistique entreposage.

Baptisée YnFarm, l’usine d’Ynsect à Amiens est le modèle des autres usines à venir dans le monde. - © D.R.
Baptisée YnFarm, l’usine d’Ynsect à Amiens est le modèle des autres usines à venir dans le monde. - © D.R.

Quel est le périmètre de responsabilité dévolue à la direction supply chain ?

Nous couvrons les flux amont, la planification industrielle, le S&OP et la déclinaison de cette planification sur le plan de production. Vers l’aval, nous travaillons avec le service client et la distribution, un domaine dans lequel nous gérons une relation de sous-traitance et de co-packing.

A pleine charge, nous gérerons à Amiens, quelques 110 000 tonnes de flux amont, pour 80 000 tonnes de flux aval

Quels sont les volumes dont vous gérez les flux ?

Ils ne sont pour l’instant pas très significatifs - quelques centaines de tonnes - mais ils vont fortement accélérer au fur et à mesure que la production montera en puissance. A pleine charge, nous gérerons à Amiens, quelques 110 000 tonnes de flux amont, pour 80 000 tonnes de flux aval. Nous sommes actuellement en phase d’accroissement de notre cheptel d’insectes. Etant donné que nous sommes les premiers à le faire à cette échelle, il est compliqué de donner un horizon de temps.

Quelles sont les priorités de votre feuille de route ?

Nous avons cinq axes de travail prioritaires. Nous devons sécuriser le lancement de notre site d’Amiens en gardant de la flexibilité ; développer un état d’esprit service client au sein de l’entreprise ; soutenir et cadrer la croissance opérationnelle ; maîtriser les coûts, en maîtrisant les flux et les stocks et en travaillant sur l’équilibre make or buy. Enfin, en plus de travailler sur le modèle d’Amiens et sa structuration, nous travaillons sur l’étape d’après, nos projets d’implantations industrielles aux Etats-Unis et au Mexique.

Notre carnet de commande pour Amiens est déjà rempli pour les deux prochaines années à hauteur de 150 millions de dollars

Qui sont vos clients ?

Nous produisons des ingrédients pour nourrir les animaux, les plantes et les hommes. Aujourd’hui, nous travaillons uniquement en B2B et avons des clients sur chacun de ces marchés. Notre carnet de commande pour Amiens est déjà rempli pour les deux prochaines années à hauteur de 150 millions de dollars.  Nous structurons un pôle service client en lien avec le service commercial, avec qui nous travaillons pour comprendre au mieux les besoins clients. Les équipes supply se déplacent régulièrement chez eux pour sentir leurs besoins cachés, tout ce qui n’est pas évoqué en réunion mais ressort d’une observation sur le terrain.

Nous ne partons pas totalement d’une feuille blanche. Nos produits vont parfois se substituer à d’autres et il existe déjà chez nos clients des chaînes logistiques capables de les réceptionner. Le travail que nous faisons actuellement sur le packaging vise donc à s’intégrer au mieux dans ces chaines. De la même manière que nous avons construit notre usine en partenariat avec nos fournisseurs, nous construisons certaines solutions logistiques avec nos clients.

C’est fort de cette collaboration que nous définissons formellement notre promesse client : en combien de temps nous sommes capables de les servir, avec quel délai de prévenance, quelle flexibilité, comment les livrer, sur quel rythme, comment ils vont réagir à la variabilité de leur marché…

Dans quelle mesure êtes-vous associé aux décisions structurantes sur le schéma industriel d’Ynsect, tels que le choix des équilibres make or buy ?

Dès la décision de lancer la construction d’un site, le choix d’externaliser ou non certains process est une question structurante et elle se posera pour tous nos futurs nouveaux produits. Avons-nous l’espace pour cela sur nos sites, la volonté de maîtriser ce process ?

Qu’en est-il de cet équilibre sur vos activités logistique et transport ?

La totalité de notre transport amont est confiée à nos fournisseurs, y compris la gestion de notre zone de réception, confiée à la coopérative agricole Noriap. Elle nous accompagne même sur la construction de cette zone d’approvisionnement et gère une partie du stock en amont. La quasi-totalité des 100 000 tonnes de matières amont sont des matières premières agricoles qui vont servir à préparer le substrat et les recettes dont nous allons nourrir les insectes. Ce partenariat local nous permet à la fois de garantir nos approvisionnements et de bénéficier de leur savoir-faire en termes de gestion de silos de stockage.

Sur la partie aval, nous avons également fait le choix de deux partenaires de proximité pour la partie co-packing. Ces acteurs traitent nos produits finis et les coproduits sortis d’YnFarm. Ils les conditionnent sous différents formats, suivant la manière dont ce marché - que nous sommes en train de créer - va se structurer.

Nous voulons voir grand et nous devons nous projeter avec une supply chain adaptée à plusieurs sites industriels

Comment structurez-vous vos relations fournisseurs pour passer du démarrage de la production cette année à 80 000 tonnes de flux aval ?

Nous vivons actuellement une phase assez sensible de double activité sur le site d’Amiens où, pendant le premier semestre 2023, coexistent la fin de la construction et le démarrage des opérations. C’est un point d’attention, à la fois en termes de sécurité et d’efficacité opérationnelle. Cette situation reflète les impératifs de notre supply chain. Etant pionniers, nous devons créer une supply chain sécurisée et flexible. Nous voulons voir grand et nous devons nous projeter avec une supply chain adaptée à plusieurs sites industriels. Mais, en même temps, comme nous sommes en train de créer une filière, nous n’avons pas la garantie que nous n’aurons pas à changer de manière d’opérer dans quelques mois ou l’année prochaine.

Du point de vue de nos relations fournisseurs, nous travaillons avec les Achats, à la fois pour sécuriser des volumes et garder de la souplesse. Avec une coopérative, dont l’activité par campagnes de récoltes demande de l’anticipation, nous avons trouvé un mode de contractualisation qui mixe un horizon ferme un horizon variable. Nous contractualisons aussi avec d’autres fournisseurs à même de nous donner plus de visibilité. Nous menons surtout un intense travail de planification et de replanification pour nous adapter en permanence.

A quel horizon travaillez-vous sur la planification S&OP ?

Nous avons structuré un S&OP depuis septembre dernier, qui donne de la visibilité au management d’Ynsect sur les 18 prochains mois et apporte aux sites une vision sur la charge qui sera la leur dans les mois à venir. Sur deux boucles d’étude, en septembre et octobre dernier, nous sommes parvenus à obtenir une vision cohérente et cela constitue aujourd’hui un de nos points forts. Nous organisons tous les mois un S&OP Board avec le top management d’Ynsect, afin de lui apporter une remontée terrain de ce qui a été prévu dans le business plan.

Nous sommes partie-prenante - voire leaders - des projets de futurs développements industriels

Nous travaillons aussi sur un S&OP à quatre ans, qui doit permettre au top management de mesurer le résultat de ses choix et de modéliser sur le long terme l’impact de l’introduction de nouveaux produits. Nous sommes partie-prenante - voire leaders - des projets de futurs développements industriels. C’est un travail qui nourrit à la fois le déploiement sur le terrain, la définition des capacités et le S&OP, avec la volonté d’identifier les meilleurs relais de croissance.

Quelle importance aura à terme la supply chain d’Ynsect ?

Comme dans toute entreprise industrielle aujourd’hui, la supply chain chez Ynsect gagne en visibilité, se structure. Chez Ynsect, nous le faisons extrêmement rapidement parce que nous partons de zéro et que nous sommes amenés à grandir rapidement. La sécurisation des approvisionnements et nos partenariats fournisseurs sont, à ce titre, des éléments stratégiques. Mais c’est notre capacité à structurer la planification qui donne de la visibilité aussi bien au site qu’au management des revenus et des marges associés aux différents scénarii.

A titre personnel, je considère que le positionnement de notre supply chain, avec un pied dans l’opérationnel et un pied dans le stratégique est particulièrement intéressant. C’est le début d’une longue aventure et c’est extrêmement motivant.

Portrait

Guillaume Mazin (43 ans, Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion 2001-2004) a pris les fonctions de directeur supply chain d’Ynsect en juin 2022. Il est rattaché au directeur industriel et supply chain, dans un pôle qui englobe développement produit, développement industriel, commerce et opérations. Un autre pôle rassemble les fonctions support : finances, RH, Achats. Guillaume Mazin était précédemment directeur supply chain d’Axiane (filiale meunerie de la coopérative Axéréal).

De gros projets de croissance externe

Ynsect a levé pas moins de 316 millions d’euros en 2020 et ambitionne de construire dix à quinze fermes d’insectes dans le monde d’ici à 2030. Une unité de production doit ainsi voir le jour aux Etats-Unis, grâce à un partenariat conclu fin 2022, avec Ardent Mills et une autre au Mexique, en partenariat avec Corporativo Kosmos. Ynsect a également racheté Jord Producers, une ferme d’élevage de scarabées située dans le Nebraska, en mars 2022.