Stratégie supply

Une collaboration exemplaire pour du fret ferroviaire entre Danone et Carrefour

Par Guillaume Trecan | Le | Industrie

Quentin Bonnerot, directeur Opérations Client Danone France explique comment le groupe est parvenu à relier son usine d’eau minérale d’Evian par le rail à la plateforme logistique de Carrefour de Grans (13). Une collaboration rare entre un industriel et un distributeur, rendue possible par la montée en puissance des objectifs de décarbonation.

500 palettes de bouteilles d’eau d’Evian vont être expédiées chaque année par le rail. - © D.R.
500 palettes de bouteilles d’eau d’Evian vont être expédiées chaque année par le rail. - © D.R.

La gare ferroviaire de l’usine d’Evian est, avec celle de Volvic, une des plus grandes gares privées de France. Un atout que le groupe Danone n’exploitait plus mais qui vient d’être réintroduit dans l’arsenal anti-carbone du programme RSE du groupe, Danone Impact Journey. Grâce à un accord avec le groupe Carrefour, l’entreprise ferroviaire Régiorail et Ideo (filiale 4PL d’ID Logistics), Danone expédie à présent chaque semaine par le rail près de 500 palettes de bouteilles d’eau d’Evian sur le site logistique de Carrefour de Grans (13) qui approvisionne quotidiennement plus de 130 magasins autour d’Aix-en-Provence.

Le volontarisme de Danone rencontre matche avec les préoccupations de Carrefour

Cette liaison ferroviaire entre Evian et Grans représente 500 camions et 400 tonnes de CO2 économisées par an. Un volume modeste au regard de l’empreinte carbone globale du groupe, mais qui vient compléter une démarche dans laquelle le ferroviaire avait déjà sa place, avec des transports en trains complets pour faire du stockage vers les plateformes du groupe. « Nous ne déployons plus de flux par voie ferroviaire vers des plateformes distributeurs depuis que la SNCF a arrêté de commercialiser du wagon isolé, il y a une dizaine d’années. Or nous avons bien identifié que c’est un des leviers importants pour décarboner. Nous avons donc pris notre bâton de pèlerin et nous sommes allés voir nos différents clients afin de les convaincre de mettre en place des liaisons ferroviaires dans une optique de décarbonation », explique le directeur des opérations clients de Danone France, Quentin Bonnerot qui a sous sa responsabilité la supply chain aval des trois entités du groupe Danone (produits frais, Eaux, Nutrition infantile et médicale).

Initiés il y a quinze mois avec Régiorail et SNCF, les premiers échanges sur ce sujet ont permis d’identifier les conditions pour reprendre ce type de livraisons : un flux régulier de cinq à six wagons par semaine et un site relié au rail jusqu’à l’entrepôt avec une ITE (installation terminale embranchée), afin de pouvoir réceptionner la marchandise directement sans transbordement.

Quentin Bonnerot. - © D.R.
Quentin Bonnerot. - © D.R.

Pour utiliser le rail, il faut franchir une série d’obstacles qui sont autant de raisons de ne pas agir si l’on ne partage pas une vision et une envie concrète de décarboner

Pour disposer de cette ITE et avoir un entrepôt capable de recevoir des palettes par train, Carrefour a dû consentir un investissement important, appuyé par des aides publiques. « La clé de ce projet c’est le partenariat établi entre Carrefour et Danone, confirme Quentin Bonnerot. Le rail est un sujet finalement assez méconnu et il n’y a rien de plus simple que de commander un camion et de transporter des palettes. Pour utiliser le rail, il faut en revanche franchir une série d’obstacles qui sont autant de raisons de ne pas agir si l’on ne partage pas une vision et une envie concrète de décarboner par ce moyen. C’est un travail collaboratif entre Carrefour et Danone qui a permis de dépasser ces obstacles. »

Des surcoûts assumés sans état d’âme

Pour Danone, il a également fallu accepter des coûts supplémentaires tels que l’acquisition du matériel de manutention spécifique, le paiement de péages et la prise en charge d’incoterms, l’industriel assumant la charge du transport jusqu’à la livraison dans l’entrepôt du client. « Il y a en effet un surcoût marginal. Mais c’est un choix que nous faisons. Nous préférons payer un petit peu plus cher mais travailler à nos enjeux de décarbonation que de ne pas le faire », affirme Quentin Bonnerot.

Côté Danone, il a également fallu prendre le temps de s’assurer que l’introduction de ce mode de transport ne perturberait pas les opérations logistiques ou industriels d’Evian. « Nous avons pris un certain temps à monter ce projet parce que nous devions nous assurer qu’il décarbone la logistique tout en répondant au premier sujet de la supply chain qui est la disponibilité produit », souligne Quentin Bonnerot.

Sept wagons partent tous les lundis d’Evian parcourent 600 kilomètres de voies et arrivent tous les mercredis matin à Grans. Les wagons ne repartent que le jeudi matin, ce qui laisse de la flexibilité à Carrefour pour décharger sereinement la marchandise. Côté Danone, ni la massification du chargement ni le ralentissement du délai de transport n’ont eu d’incidence majeure sur les opérations, même si l’usine n’a pas encore vécu son pic de saison d’été. « Pour que cette livraison par rail fonctionne, nous devons la gérer de manière régulière. Nous constituons donc un stock d’écrêtage tout au long de l’année petit à petit sur l’entrepôt de Grans », explique Quentin Bonnerot.

Pour utiliser le rail, il faut en revanche franchir une série d’obstacles qui sont autant de raisons de ne pas agir si l’on ne partage pas une vision et une envie concrète de décarboner

Cette démarche s’inscrit dans le programme RSE du groupe, Danone Impact Journey et dans les objectifs de décarbonation du groupe. Danone a pris un engagement de -1,5°c SBTI avec une action sur les scopes 1 ; 2 et 3. Cet engagement correspond à une réduction des émissions du groupe de 30 % d’ici à 2030 et de 10 % d’ici fin 2025. « La logistique représente un peu moins de 10 % de la totalité de notre empreinte carbone dans le monde. C’est un sujet important mais ce n’est pas le seul », reconnait Quentin Bonnerot qui n’en a pas moins engagé la supply chain de Danone France dans la démarche Fret 21. En adhérant à ce mouvement, Danone a commencé un pré-audit de sa supply chain pour cartographier les sujets à traiter afin de s’inscrire dans une démarche de progrès.

Une démarche difficile à reproduire

Et le ferroviaire peut s’avérer un levier puissant. « Si nous réussissons à déployer plusieurs flux ferroviaires vers des plateformes distributeurs, nous devrions nous rapprocher assez vite de la cible. Mais encore faut-il que les plateformes distributeurs aient la capacité à réceptionner », note le directeur opérations clients France. Etant donné la qualité de collaboration établie avec le groupe Carrefour, le sujet va donc être creusé avec lui. « Avec Carrefour, nous sommes en train d’étudier sur quels autres entrepôts nous pourrions reproduire ce dispositif, notamment sur la région parisienne, qui est un bassin de consommation important et donc les entrepôts réceptionnent de gros volumes », confirme Quentin Bonnerot.

Un tel projet reste toutefois complexe à mettre en œuvre. En effet à l’issue de discussions engagées avec un autre distributeur volontaire sur ce sujet, Quentin Bonnerot a dû admettre que la solution du rail n’était finalement pas pertinente. L’entrepôt du distributeur n’avait en effet qu’une capacité de réception de un ou deux wagons, ce qui ne correspond pas aux besoins du projet qui nécessite des quais suffisamment longs.

Si nous sommes plusieurs industriels à proposer la même chose à un distributeur, il y trouvera plus volontiers son intérêt

Etant donné le coût du projet pour un distributeur qui ne disposerait pas, sur son entrepôt, d’une possibilité d’embranchement au rail et de déchargement adapté, l’idée de se rapprocher d’autres industriels est également une voie privilégiée par Danone. « Si nous sommes plusieurs industriels à proposer la même chose à un distributeur, il y trouvera plus volontiers son intérêt. Nous espérons que cette collaboration entre Danone et Carrefour donnera envie à d’autres de suivre la route », explique Quentin Bonnerot.

En outre, peu de produits de groupe se prêtent à l’exercice. Danone distribue ses produits principalement à destination du retail, mais aussi de la consommation à domicile, des pharmacies et des hôpitaux et prestataires de santé à domicile pour les prescriptions médicales. Dans son périmètre entrent donc une grande variété de produits, du plus au moins cher et du plus au moins pondéreux. Il est malheureusement difficile de reproduire l’expérience du rail pour d’autres produits que l’eau d’Evian. La durée de vie des produits et la fréquence des flux ne le permettent pas. Les faibles volumes de Badoit et de Salvetat, les plus faibles durées de stockage et le fort relief des régions de production excluent également ces produits du transport par rail.

Si le distributeur ne regarde que son prisme et se focalise sur le coût, nous n’avancerons pas

La collaboration entre industriels et distributeurs meilleur des leviers

Sur les autres catégories de produits sur lesquels le rail n’est pas une option, les leviers principaux resteront une redéfinition du schéma logistique, le recours aux carburants alternatifs, l’amélioration du remplissage des camions et une réduction de la fréquence de livraison pour limiter le nombre de camions sur les routes. « Sur l’ultra-frais, nous livrons certains clients six fois par semaine ; le levier principal de livraison consiste donc à réduire cette fréquence d’approvisionnement », analyse Quentin Bonnerot. Sur ces produits à plus petits volumes tels que la nutrition infantile, la direction supply chain a également déjà étudié la possibilité du cochargement avec d’autres industriels.

« Dans tous les cas, la collaboration avec les distributeurs est essentielle. Nous avons besoin de collaborer. Si le distributeur ne regarde que son prisme et se focalise sur le coût, nous n’avancerons pas. Ce qui est remarquable, cette fois, c’est que Carrefour et Danone ont accepté un compromis sur le coût pour œuvrer à la décarbonation », souligne Quentin Bonnerot.

Portrait

En tant que directeur des opérations clients Danone France, Quentin Bonnerot couvre la supply chain aval de la France de l’ensemble des trois entités du groupe Danone : produits frais (1 Md d’€ de chiffre d’affaires), Eaux (500 Md’€) et Nutrition infantile et médicale (500 M d’€). Il gère donc la distribution et travaille en lien avec les équipes supply chain des clients, les prestataires logistiques entreposage et transport et la finance de Danone sur la dimension gestion des coûts. Il pilote une centaine de personnes au siège et une centaine de personnes à Rueil et Limonest, ainsi qu’environ 400 personnes réparties sur sept sites logistiques. La logistique de l’ultra-frais est gérée par des entrepôts en propre de Danone, le reste étant confié à des prestataires.