Hartmann France : « Notre supply chain se transforme en continu »
Emmanuel Desnoues est le directeur des opérations et vice-président Order to Cash de Hartmann France, groupe allemand bicentenaire spécialisé dans la fabrication de dispositifs médicaux liés à l’incontinence, au soin des plaies, à la désinfection et à la lutte contre les risques nosocomiaux. Il fait le point sur la lourde modernisation que le groupe vient d’opérer sur sa base logistique installée en région lyonnaise.

Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre
Quelle est l’envergure de la présence industrielle d’Hartmann en France ?
Nous avons deux usines en France, toutes les deux en Alsace. L’une fabrique des produits de soins contre l’incontinence adulte. Nous avons d’ailleurs inauguré récemment sur ce site une nouvelle ligne de production, très importante, sur laquelle nous avons travaillé pendant presque deux ans, avec un investissement de l’ordre de 25 millions d’euros à la clé. La deuxième usine alsacienne fabrique, elle, plusieurs gammes de produits, en particulier des pansements. Je précise que nous sommes spécialisés dans les pansements techniques, notamment pour les soins chroniques. Nous avons investi également sur ce sujet récemment, il y a 18 mois environ, avec là-encore une nouvelle ligne de production pour nous ancrer encore plus dans ces gammes de pansements à très forte valeur ajoutée.
Quel est votre schéma logistique actuellement sur le territoire français ?
Nous fabriquons 60 % de ce que nous vendons. Pour le reste, il s’agit de produits de négoce, des compléments de gamme. Par conséquent, de manière générale chez Hartmann, nous adossons une partie de la logistique - qui concerne des matières premières et des produits finis - aux sites de production ; une quinzaine à l’échelle du groupe.
Au fil des ans nous avons simplifié notre cartographie afin de tout héberger sur un seul site
L’autre partie de la logistique est gérée par des centres de distribution, au plus près des besoins. Désormais, nous en avons un seul en France, en plus de la logistique gérée en Alsace, situé à Belleville-en-Beaujolais. Nous en avions plusieurs autrefois mais au fil des ans nous avons simplifié notre cartographie afin de tout héberger sur un seul site. Cela permet une meilleure lisibilité pour les clients et une optimisation des livraisons.
Vous venez d’équiper ce site qui compte 130 collaborateurs de nouvelles solutions, notamment des robots Exotec. Quel était le besoin ?
Ce site de 48 000 m² a été ouvert en 2010. A l’époque, il s’agissait de massifier les volumes sur un seul site. Depuis, les besoins de nos clients ont évolué, l’entreprise a grandi, notre portefeuille de produits s’est enrichi et nos volumes ont augmenté. Il était donc temps de requestionner nos capacités de production ainsi que nos outils.
Il nous est apparu assez clairement que nos clients, principalement ceux du secteur de la pharmacie, avaient besoin de livraisons plus rapides. En effet, ces produits que nous envoyons vers les pharmacies sont pour la plupart des produits prescrits par les médecins. Je rappelle qu’il ne s’agit pas là de bobologie mais de produits techniques. Cela signifie que lorsque le patient se présente à l’officine avec une ordonnance, il a besoin du produit rapidement. Or, le service que nous proposions jusqu’ici était plutôt adapté pour des livraisons en gros volumes, en trois ou quatre jours. Pour ces gammes, quatre jours, c’est un problème…
Nous avons donc réfléchi à cette problématique, à la manière d’y répondre, sans trop impacter nos coûts de fonctionnement. Nous avons opéré des ajustements au niveau de notre organisation mais il était nécessaire, en parallèle, de nous doter de nouveaux outils industriels afin de répondre à ces défis.
Absorber du volume sur des petites commandes afin d’être en capacité de livrer plus rapidement les pharmacies
Et vous avez donc retenu la solution Exotec…
Oui, j’avais déjà eu l’occasion de travailler avec Exotec dans une autre vie, lorsque j’étais chez ID Logistique pour le client Cdiscount. A cette époque, ils étaient vraiment pionniers. Cela étant dit, le choix n’a évidemment pas été aussi linéaire que cela. Nous avons procédé à un appel d’offres, consulté une quinzaine d’équipementiers français et internationaux. Finalement, nous avons retenu le Français Exotec pour plusieurs raisons. D’abord, parce que du point de vue technique, la solution répondait parfaitement à notre cahier des charges : absorber du volume sur des petites commandes afin d’être en capacité de livrer plus rapidement les pharmacies notamment. Et puis, au-delà de cela et du budget, il existe une vraie proximité entre Exotec et Hartmann en termes de valeur. Les deux entreprises sont des industriels, fiers de fabriquer des produits et de maintenir de l’emploi en Europe et en France.
Pouvez-vous nous détailler ces nouvelles installations ?
Une quinzaine de robots autonomes, capables de se déplacer en trois dimensions, ont été déployés pour deux stations de préparation et une station de réapprovisionnement. Avec 4 000 bacs de stockage standardisés associés. L’investissement s’élève à 2,5 millions d’euros.
Exotec a adapté ses outils à nos particularités, nous avons avancé ensemble sur le design puis la mise en œuvre
Cette solution robotisée de stockage et de préparation de commande nous permet de faire de la préparation de petits colis avec une productivité largement supérieure à celle que nous avions précédemment. Pour vous donner quelques chiffres, nous étions capables de préparer entre 250 et 300 commandes par heure, désormais nous atteignons les 400 à 450 commandes par heure et nous pouvons encore monter en puissance en faisant évoluer la solution. Cette évolutivité constitue d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous avons retenu l’option Exotec.
Exotec a fait preuve de beaucoup de créativité : les stations mises en place sont assez particulières avec des innovations dans le cadencement avec la transitique. Exotec a adapté ses outils à nos particularités, nous avons avancé ensemble sur le design puis la mise en œuvre. Cela a demandé une année de travail environ. Le nouveau système est opérationnel depuis le mois de janvier, sans aucune interruption de service. A partir du mois de mai, nous pourrons garantir une livraison en 24/48 heures selon le lieu de livraison.
Ces nouveaux équipements viennent remplacer des outils dont nous avait équipé Savoye. Ils étaient eux-mêmes assez innovants à l’époque.
Hormis les nouvelles capacités offertes par cette robotisation en termes de volume, d’autres indicateurs de performance à partager ?
Oui, très clairement, la satisfaction des collaborateurs. C’était un des enjeux essentiels pour nous. Il ne s’agit pas d’un KPI à proprement parler mais d’un indicateur que nous pouvons mesurer au contact des collaborateurs. Et je peux dire que c’est une vraie réussite : les équipes ont adhéré immédiatement, il n’y a eu aucun problème d’appropriation de l’outil. Les collaborateurs sont beaucoup plus autonomes qu’avant, le système offre plus de variétés dans les tâches à réaliser. Il y a moins de gestes répétitifs, moins de charge mentale etc.
Nous sommes une entreprise de haute technologie dans les métiers de la santé mais également dans nos métiers logistiques
En termes de recrutements et de fidélisation des salariés, ce sont donc des points positifs ?
Effectivement ! Je dirais que cette nouvelle organisation répond à deux points en matière de marque employeur et qualité de vie au travail. D’abord, l’ergonomie et l’amélioration des conditions de travail. Cette préoccupation est centrale chez Hartmann, et ce n’est pas nouveau. Nous sommes très actifs sur cette question. Par exemple, nous testons des exosquelettes sur le site depuis longtemps. Tout ce qui existe sur le marché en termes d’exosquelettes a, à un moment ou un autre, été testé chez nous parce que nous sommes toujours en recherche des meilleures solutions.
L’autre aspect, c’est cette image de modernité que l’outil apporte. Nous sommes une entreprise de haute technologie dans les métiers de la santé mais également dans nos métiers logistiques.
Cette solution pourrait-elle éventuellement être déployée sur d’autres sites logistiques du groupe ?
Je sais que notre organisation est examinée avec beaucoup d’intérêt par mes homologues. Disons que nous sommes pilotes.
D’autres priorités dans votre feuille de route supply et logistique ?
Notre supply chain se transforme en continu. Actuellement, nous travaillons sur la partie planification, avec l’intégration du module de planification de SAP.
Au-delà de cela, les plus grands enjeux aujourd’hui sont liés à la RSE. Nous avons des défis à relever en termes de pérennité et d’impact. En effet, nous travaillons beaucoup via des appels d’offres, ces sujets RSE y tiennent aujourd’hui une part croissante. Hartmann a pris des engagements forts avec une réduction de nos émissions de CO2 de 50 % à horizon 2030 et de neutralité carbone en 2050.
Dans ce cadre, nous portons de nombreuses actions sur nos sites de production : réduction de consommation électrique, d’eau etc. Sur la logistique, une part importante du travail consiste à être économe et raisonnable. Cela signifie faire en sorte par exemple que chaque camion soit saturé. Cela signifie aussi livrer à la juste fréquence. Si la livraison doit se faire très rapidement, sur les produits prescrits, ce n’est pas nécessairement le cas pour d’autres types de produits, notamment sur l’incontinence.
Sur ce type de produits, vous souhaitez livrer moins souvent ?
Oui, tout à fait. Mais effectivement, cela nécessite une démarche proactive pour convaincre ces clients et mettre en œuvre cette organisation. À ce titre, nous menons un chantier modèle avec un des principaux groupes de maisons de retraite. C’est un vrai succès, nous espérons à terme économiser un million de kilomètres par an.
Pouvez-vous nous détailler ce chantier pilote ?
Nous faisons la démonstration qu’il est parfaitement possible et raisonnable de basculer sur une livraison mensuelle puisque ce sont des produits gérés sur stock, sauf en cas d’urgence. Au lieu d’avoir des livraisons erratiques, nous mettons en place un cadencement. Depuis trois ans, nous développons de plus en plus ce modèle. Les progrès sont conséquents. Désormais, nous répondons en ce sens à chaque nouvel appel d’offres de maison de retraite ou chaque renouvellement de contrat.
Le secteur de la santé est assez conservateur, nous devons réussir à évoluer ensemble avec nos clients en introduisant ce que d’autres secteurs de la supply chain, ont déjà mis en place
Le secteur de la santé est assez conservateur, nous devons réussir à évoluer ensemble avec nos clients en introduisant ce que d’autres secteurs de la supply chain, ont déjà mis en place. Les lignes bougent, nous constatons une prise de conscience collective.
D’autres actions menées pour économiser du CO2 sur votre logistique ?
Nous avançons de manière significative sur la saturation des camions et des palettes. Nos palettes sont un peu plus remplies, nos produits un peu plus compacts ce qui permet d’en mettre plus encore.
Tout cela dans une approche raisonnable, sans dégrader notre niveau de service car il ne faut pas oublier que nous avons des patients en bout de ligne. Une rupture d’approvisionnement de nos produits génère un impact plus grave que s’il manque des bouteilles de soda à tel ou tel endroit.
Hartmann en chiffres
Chiffre d’affaires 2024 : 2,5 Mds d’€
Effectif : 10 000 personnes dont 1 000 en France