Stratégie supply

Heineken France mobilise ses prestataires transport pour atteindre la neutralité carbone

Par Mehdi Arhab | Le | Industrie

Le directeur des achats d’Heineken France, Damien Robillon, attache une grande importance aux achats « supply chain », afin notamment d’éviter à l’entreprise de se faire lourdement pénaliser par ses clients grands distributeurs. Et alors que le groupe brassicole néerlandais promet d’être net zéro carbone en 2040, ses prestataires transports et logistique constituent un levier majeur dans l’atteinte de cet engagement.

Le transport représente 19 % des émissions de GES d’Heineken. - © Heineken
Le transport représente 19 % des émissions de GES d’Heineken. - © Heineken

En France, Heineken est, avec Kronenbourg, le principal acteur du secteur brassicole et a enregistré plus de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022. Le groupe commercialise des marques phares, et conçoit aussi de nombreux produits ; les bières du même nom bien-sûr, Amstel également, sans oublier Desperados, Fischer, Affligem, ou encore Pelforth qui constituent certaines des marques les plus emblématiques du groupe. En France, le groupe emploie peu plus de 3 700 salariés, dont 1 300 opèrent pour Heineken Entreprise. Le reste des effectifs officie côté distributeur, au sein de France Boissons, filiale d’Heineken France depuis 1987. Elle fournit plus de 6 000 références à plus de 45 000 établissements, dont 30 000 cafés, hôtels et restaurants, et compte 71 centres de distribution partout sur le territoire.

Le transport et la logistique, des achats stratégiques pour Heineken France

Dans l’Hexagone, Heineken concentre son savoir-faire dans ses trois brasseries : celle de Schiltigheim, en Alsace, celle de Mons-en-Barœul, dans le nord de la France et celle de Marseille. Conduite par Damien Robillon, la direction des achats d’Heineken France administre 670 millions d’euros de dépenses. Au cœur de son portefeuille, des achats directs, dont les principales familles sont les matières premières et le packaging (bouteilles, canettes, fûts et multi-pack), ainsi que diverses catégories d’achats indirects. Au sein de ce spectre, qui représente 370 millions d’euros de dépenses, le transport, la logistique, MRO, l’énergie figurent en bonne place. 

Ces achats, dits de supply chain, pèsent en effet 90 millions d’euros. « Les achats transport, incluant notamment l’activité de France Boissons, comptent pour 50 millions d’euros et une trentaine de millions d’euros sont dédiés à l’achat d’énergie, à savoir de l’électricité et du gaz naturel », précise Damien Robillon. Avec cela, de nombreuses dépenses capex sont planifiées pour accompagner le plan de transformation des brasseries de Mons-en-Barœul et de Marseille qui fait suite à l’annonce de la fermeture du site de Schiltigheim à la fin 2025.

Damien Robillon. - © D.R.
Damien Robillon. - © D.R.

Nos clients grands distributeurs nous infligent de lourdes pénalités si nous ne livrons pas leurs plateformes logistiques en temps et en heure

Pour soutenir au mieux le plan de croissance d’Heineken France, la direction des achats met tout en œuvre pour lui assurer la sécurité de ses approvisionnements. Le directeur des achats d’Heineken France l’explique ici, en exposant deux cas. « L’année dernière, nous craignions un black-out et de voir ainsi nos brasseries ne plus être alimentées en énergie, notamment en gaz. Pour pallier d’éventuelles coupures, nous avions sécurisé des chaudières mobiles en location. Pour ce qui concerne le transport, nos clients grands distributeurs nous infligent de lourdes pénalités si nous ne livrons pas leurs plateformes logistiques en temps et en heure. De fait, cela nous oblige à animer très finement notre réseau de transporteurs et à s’appuyer sur des KPI solides pour garantir une haute performance. »

L’initiative SBTI signée pour matérialiser ses engagements

Cette animation des relations avec les partenaires transport de l’entreprise s’incarne chaque année par une plénière, organisée conjointement par la direction des achats et la direction de la logistique. Ce rendez-vous, qui se tient au mois de mars, prend les airs d’une convention grandeur nature. Chaque prestataire de transport d’Heineken France y est invité. « Nous leur présentons les challenges auxquels Heineken doit répondre, le plan de marche de l’entreprise sur l’année et les objectifs fixés. C’est aussi un excellent moyen de rappeler à nos partenaires transporteurs à quel point ils sont importants à nos yeux et stratégiques dans notre activité », expose Damien Robillon.

Et pour leur montrer qu’ils sont importants, la direction des achats s’efforce, avec le hub comptabilité d’Heineken France, à améliorer les délais de paiement. « Après avoir rencontré des difficultés, nous nous sommes très largement améliorés. Nous nous fixons un objectif de payer 96 % de toutes nos factures en temps et en heure. »

La collaboration entre les Achats et la Supply Chain :

Chaque semaine, Damien Robillon et Alexander Brinkerink, nouveau directeur supply chain France d’Heineken, évoquent les chantiers à suivre avec les directeurs des brasseries et les équipes qualité. Les deux acheteurs transport, placés sous la responsabilité d’un category leader logistique qui reporte à Damien Robillon, travaillent en étroite collaboration avec les équipes logistiques afin de sécuriser les opérations transport et d’animer la relation fournisseur. Un point récurrent est organisé toutes les deux semaines entre les deux parties. Par ailleurs, les activités transport ont gagné en efficacité après qu’un hub transport Europe a été créé par le groupe à Cracovie. Si ses débuts ont été (très) mouvementés, il assure désormais, grâce à l’implémentation d’un TMS, un meilleur suivi des opérations. « Nos indices et les taux de service de la fin de l’été sont supérieurs à ceux de l’an dernier », se félicite Damien Robillon.

Outre ce sujet, l’urgence climatique et la décarbonation des opérations d’Heineken animent Damien Robillon et ses 25 acheteurs. La soutenabilité est en effet un sujet d’ampleur pour lui et ses équipes. Il est d’ailleurs inscrit en bonne position dans le plan de marche du groupe qui a signé l’initiative SBTI. Heineken est d’ailleurs le premier brasseur au monde à franchir l’étape environnementale de l’approbation par ce référentiel SBTI, avec ses objectifs 0 net et FLAG (Forest, Land and Agriculture). Le groupe s’est dès lors engagé à décarboner l’ensemble de ses sites de production d’ici à 2030 et l’ensemble de sa chaîne de valeur à l’horizon 2040. Une démarche dans laquelle les Achats et la Supply Chain sont grandement impliqués. 

Un travail important a déjà été entrepris pour rendre les brasseries d’Heineken en France plus économes en ressources. Celle de Mons-en-Barœul en est un parfait symbole. « Les achats d’énergie sont un bon moyen d’avancer rapidement en matière de décarbonation. Nous approvisionnons désormais nos sites de production en biométhane, avec des garanties d’origine certifiée, illustre d’abord Damien Robillon. Depuis deux mois, nous avons aussi lancé un projet de biomasse pour notre brasserie de Mons qui nous permettrait de réduire de plus de 70 % les émissions carbones du site. »

Recours aux biocarburants pour aller dans la bonne direction 

Mais pour atteindre la neutralité carbone, ce type d’initiative ne suffit pas. Pour un chargeur tel que Heineken, le transport est un enjeu de compétitivité certain. Il représente un poste de coût non négligeable et est un vecteur d’émissions carbone important, qui compte pour 19 % de ses émissions de GES. En ce sens, la direction des achats pousse ses partenaires transporteurs à se positionner sur des motorisations plus douces et à s’engager dans des démarches écoresponsables. Une requête qui implique d’énormes investissements pour les transporteurs, qui doivent intégrer aussi la hausse des prix des molécules. Et cela, la direction des achats le sait bien. Elle a opté pour une approche plus resserrée, en s’engageant à les soutenir et les appuyer dans leurs actions.

Notre pari est de payer plus cher aujourd’hui, d’absorber une partie du surcoût, et de compter sur le fait que ce surplus s’amenuise demain

« Nous leur avons demandé de chiffrer précisément le surcoût auquel ils doivent faire face, il est de notre devoir d’agir ainsi. Le biocarburant coûte de 4 à 15 % plus cher que le diesel et l’électrification est elle aussi plus onéreuse. La décarbonation, et nous le savons tous, n’a rien de neutre économiquement. Nous l’acceptons. Notre pari est de payer plus cher aujourd’hui, d’absorber une partie du surcoût, et de compter sur le fait que ce surplus s’amenuise demain », explique Damien Robillon.

Et plutôt que de mettre tous ses œufs dans le même panier, la direction des achats a décidé avec celle de la supply chain de miser sur différentes typologies d’énergie alternative. Elles imposent désormais dans les appels d’offres un certain pourcentage de biocarburants à utiliser et encouragent le développement de nouveaux modes de transport plus doux. Désormais, dès lors qu’un transporteur propose une énergie alternative, la direction des achats le privilégie au détriment des transporteurs qui tablent encore sur les énergies fossiles. Rien d’illogique au regard de la législation qui se fait de plus en plus pressante et qui oblige, chargeurs et transporteurs, à presser le pas.

Nous intégrons désormais 23 % de multimodal dans nos opérations transport et nous poussons tous nos prestataires de transport à adopter une part de carburants alternatifs (HVO, B100…) qui permettent de réduire jusqu’à 80 % des émissions.

« Ceux qui ne seront pas au niveau attendu vont voir leur carnet de commandes fondre comme neige au soleil et risquent de disparaître. C’est le sens de l’histoire », prédit Damien Robillon, qui poursuit. « Nous intégrons désormais 23 % de multimodal dans nos opérations transport et nous poussons tous nos prestataires de transport à adopter une part de carburants alternatifs (HVO, B100…) qui permettent de réduire jusqu’à 80 % des émissions. Encore une fois, il est dans notre rôle, en tant que donneur d’ordre, d’imposer une marche à suivre. Nous devons faire office de locomotive et entraîner toute la chaîne dans notre sillage ».

La flotte en propre de France Boisson en passe d’être électrifiée

C’est en interrogeant notre plan transport et en réduisant les distances parcourues que nous parviendrons à concilier plus facilement l’impératif économique et l’impératif écologique

Alors qu’il est pour le moment impossible de dégager des gains de performance économique, Heineken France ne compte pas faire machine arrière, à l’aune des engagements pris par le groupe. Et plutôt que de se concentrer sur la réalisation de savings là où il ne peut y en avoir, la direction des achats veille avant tout à acheter aux meilleures conditions possibles, voire … à ne pas acheter du tout. Une approche qui nécessite de repenser tout le schéma transport du groupe et d’optimiser le parcours des nombreux flux gérés par le groupe afin de limiter les kilométrages. « Le prix d’achat n’est pas le seul à compter, nous devons faire les choses plus intelligemment. C’est en interrogeant notre plan transport et en réduisant les distances parcourues que nous parviendrons à concilier plus facilement l’impératif économique et l’impératif écologique. »

Pour Heineken France, le plus important est aujourd’hui de s’assurer que les transporteurs respectent bien leurs promesses. « Le plus difficile pour nous est de s’assurer que nos prestataires utilisent bien des biocarburants sur lesquels nous nous sommes entendus. Il nous faut trouver un moyen d’obtenir des attestations formelles ou d’origine garantie. Cela est important de pouvoir prouver ce que nous faisons », explique Damien Robillon. Mais tout ne s’arrête pas là pour la direction des achats d’Heineken France. Alors que le test d’un camion à hydrogène sur une longue distance est prévu pour 2025, elle s’affaire également pour moderniser la flotte dont est propriétaire le distributeur France Boissons. L’objectif : l’électrifier en masse dans les quelques années à venir.

France Boissons a ainsi reçu 20 camions électriques cette année et en attend 30 de plus en 2024. Toutefois, il est probable que pour renouveler la flotte de 700 porteurs de la filiale d’Heineken France, la direction des achats opte en partie pour un mode locatif. « Nous n’avons pas encore assez de recul pour investir en notre nom. De fait, nous nous orientons pour l’instant sur de la location, de manière à nous constituer une expérience sur cette technologie et pouvoir ensuite sélectionner le modèle le plus adéquat, à savoir continuer à former une flotte en propre ou adopter définitivement le leasing », conclut le directeur des achats France.