Stratégie supply

Nestlé France : « Ces projets de décarbonation ont un effet fédérateur pour toutes nos supply chain »

Par Guillaume Trecan | Le | Industrie

Charles Léonardi, directeur général supply chain de Nestlé France, revient sur les enjeux de l’engagement Fret 21 de la société, qui a évité plus de 11 % d’émissions de GES entre 2020 et 2022 et s’engage à nouveau sur 10 % de réduction entre 2023 et 2025. Une trajectoire qui repose sur pas moins de 84 projets dans toutes les BU du groupe.

Charles Léonardi, directeur général supply chain, Nestlé en France. - © D.R.
Charles Léonardi, directeur général supply chain, Nestlé en France. - © D.R.

Quel est le périmètre de responsabilité de la direction supply chain de Nestlé France ?

La supply chain de Nestlé en France regroupe quatre métiers principaux. Les deux premiers métiers sont, en amont, les achats et en aval la relation client (la prise de commandes, le service client,…). Nous gérons aussi la partie planning (prévision de ventes, gestion de stocks et planification de production). Enfin, nous gérons la logistique (l’entreposage et le transport). En termes d’équipe, cela représente 450 personnes, auxquelles s’ajoute la communauté supply chain présente dans les usines, qui reporte à la direction industrielle. Ces 450 personnes couvrent des entités extrêmement diverses qui vont de Nespresso à Nestlé Waters, en passant par l’alimentation animale ou encore Nestlé Health Science.

Quels volumes de flux traitez-vous ?

Nous avons 450 000 palettes en stocks en France, nous vendons cinq millions de palettes et nous expédions environ 167 000 camions par an, 42 000 wagons et 25 000 conteneurs. Nous travaillons essentiellement avec des centres de distribution prestés mais une proportion de plus en plus importante de nos expéditions part directement d’entrepôts que nous détenons dans nos usines. C’est le cas en particulier pour l’eau, la nutrition animale, ou encore les céréales pour petit-déjeuner. Quand nos volumes sont importants, nous essayons d’éviter de passer par des centres de stockage intermédiaires.

Faire en sorte que la supply chain ait un impact positif sur l’environnement et sur la société est un troisième axe, qui prend une importance croissante

Quel est le service essentiel que votre direction supply chain rend au groupe Nestlé ?

La mission première de la supply chain est de servir nos clients et de faire en sorte que tous ces volumes que nous acheminons jusqu’à eux, et parfois jusqu’aux consommateurs, arrivent à temps et en bonne qualité. Le deuxième axe de notre mission, ce sont les coûts et l’impact de la supply chain sur la profitabilité du groupe. Dans certaines activités, le poids de la logistique sur la profitabilité est très important, en particulier les activités volumétriques comme les eaux ou les céréales.

Faire en sorte que la supply chain ait un impact positif sur l’environnement et sur la société est un troisième axe, qui prend une importance croissante. Cela se matérialise notamment dans la démarche Fret 21 depuis 2017. Sur la partie sociétale, nous travaillons sur plusieurs sujets tels que l’amélioration des conditions de travail et l’insertion professionnelle des jeunes. Ce sont des thèmes de plus en plus importants pour le groupe et pour attirer et retenir des talents dans nos métiers.

Quelle est votre empreinte carbone et la trajectoire de baisse sur laquelle vous vous êtes engagés ?

Notre démarche Fret 21 s’est déclinée en trois saisons : 2017-2019 ; 2020-2022 ; 2023-2025. En saison 2, nous avons évité 11,2 % d’émissions de GES, soit 11 416 tonnes sur un total de 101 972 tonnes de carbone. En saison 3, nous nous engageons à nouveau sur 10 % de réduction. Pour agir à une telle échelle, cela demande un cumul de pas moins de 84 projets sur la seule saison 2.

Nous utilisons tous les modes de transport imaginables : des trains entiers pour les eaux jusqu’au vélo pour livrer des capsules de Nespresso en ville

Quel levier s’avère le plus décisif en termes de tonnes de CO2 économisées ?

Nous avons la chance d’avoir des activités et des catégories logistiques très diversifiées. Nous utilisons tous les modes de transport imaginables : des trains entiers pour les eaux jusqu’au vélo pour livrer des capsules de Nespresso en ville. Les leviers qui ont le plus d’effet en termes de décarbonation sont sans conteste ceux qui s’appliquent à notre logistique de gros volumes. Parmi nos projets phares, dès la première saison de notre programme Fret 21, nous avons mis en place des trains pour les eaux de Perrier entre Vergèze et Fos-sur-Mer. Lors de la deuxième saison, (2020-2022) un train hybride a été mis en place pour Vittel. Récemment, Nestlé Waters a annoncé un partenariat d’avenir avec Engie et Alstom pour le développement d’une locomotive à hydrogène pour grosses charges.

Mais, toute proportion gardée, toutes nos catégories travaillent sur des carburants ou des moyens alternatifs.

Pouvez-vous nous citer quelques exemples de ces alternatives ?

En partenariat avec Geodis, nous avons mis en place un camion électrique sur des courtes distances pour les céréales du petit-déjeuner à Rumilly. Nous utilisons des véhicules roulants au biogaz pour livrer les crèches de Paris. Nous travaillons aussi sur le transport de porte-conteneurs à voile dans le cadre du Lab Supply Chain 4 Good de France Supply Chain.

Nous avons revu tout le portefeuille de produits, que nous avons standardisés en fonction d’un nombre restreint de packaging et de types de palettisation

Comment avez-vous décliné le levier de l’optimisation des chargements ?

Cet axe de travail implique des collaborations avec un grand nombre d’acteurs. En interne, déjà, avec nos usines, nous devons nous assurer que nous optimisons nos produits et notre palettisation pour qu’ils soient facilement gerbables et que nous puissions monter à 2,40 mètres dans les camions. Nous avons ainsi travaillé avec notre usine de nutrition infantile à Epinal, qui présente la gamme de taille de produits la plus variée. Nous avons revu tout le portefeuille de produits, que nous avons standardisés en fonction d’un nombre restreint de packaging et de types de palettisation, de façon à ce que les palettes occupent un maximum de hauteur dans les camions. Pour cela, nous avons travaillé en équipes avec le marketing sur les packagings et avec l’usine sur la solidité des cartons et l’optimisation de leur poids.

D’autres projets demandent une collaboration externe à l’entreprise. C’est ce que nous faisons par exemple avec certains clients avec qui nous travaillons sur l’acceptation par leur plateforme logistique de palettes en carton bien moins lourdes que des palettes en bois. Nous optimisons aussi avec nos clients, le chargement du camion dès la prise de commande. C’est très important pour s’assurer que nous n’envoyons pas des camions à moitié vides ou que nous ne sommes pas obligés de passer par des plateformes d’éclatement. Nous avons besoin de travailler avec des clients qui jouent le jeu.

Nous avons mis en place un Transport Hub qui nous donne une vision sur tous nos flux de transport, quels que soient les plateformes et les types de produits

Quels moyens mettez-vous en œuvre pour réduire les distances parcourues ?

Nous essayons d’éviter les transferts de marchandise entre sites et, surtout, nous avons mis en place un Transport Hub qui nous donne une vision sur tous nos flux de transport, quels que soient les plateformes et les types de produits. Cela nous permet d’imaginer des boucles de transport plus efficaces entre usines, entrepôts et clients. Ce Transport Hub est doté du TMS de SAP, mais surtout d’une équipe dédiée de plusieurs dizaines de personnes. Elle travaille sur l’optimisation de nos flux internes, nos flux externes au travers de toutes nos catégories, à de rares exceptions comme par exemple Nespresso. Jusqu’ici nous passions par des affréteurs qui n’avaient qu’une vision partielle de ces flux. Le fait d’avoir une visualisation avec des cartographies actualisées en temps réel qui nous montrent l’ensemble de nos flux entrants et sortants représente un outil d’aide à l’analyse qui permet de lancer des projets auxquels nous n’aurions jamais pensé.

Quelle est l’incidence de tous ces chantiers en termes de conduite du changement ?

Ces projets de décarbonation ont un effet fédérateur pour toutes les supply chain de Nestlé en France avec toute leur diversité. Quel que soit le métier à l’intérieur de la supply chain, tout le monde contribue à cet objectif. C’est pourquoi, même si le train représente le levier le plus important en pourcentage, j’ai à cœur de valoriser en interne toutes les initiatives à part égale. La supply chain est d’ailleurs une des fonctions les plus contributrices au pilier RSE de la feuille de route de l’entreprise.

Arrivé en saison 3, les 10 % de réduction de tonnes de CO2 à gagner ne sont-ils pas plus difficiles à atteindre ? Les leviers les plus évidents ne sont-ils pas tous épuisés ?

Au fur et à mesure que nous avançons, plein de portes s’ouvrent auxquelles nous n’avions pas pensé. Nous ne sommes pas seuls à travailler sur ces sujets, c’est aussi le cas des transporteurs, des équipementiers qui font émerger de nouvelles solutions au fur et à mesure que nous avançons. Plus le sujet est perçu comme important, plus les acteurs investissent sur toute la chaine.

Nous pouvons faire beaucoup de choses en interne chez Nestlé, mais nous ne pourrons changer les choses de manière décisive qu’avec tous nos partenaires

Les prochaines étapes vont-elles nécessiter des changements majeurs, qui dépassent les seuls leviers supply chain ; dans l’organisation industrielle, la stratégie produit ou encore l’offre de service à vos clients ?

Certains changements sont en effet très impactants. Le changement de packaging implique par exemple un double travail pour un industriel comme nous. Nous sommes de toute façon en train de revoir toute notre politique de packaging dans une optique de réduction du poids, de recyclabilité. Le changement est parfois commercial. Nous participons par exemple à une réflexion en cours avec l’Institut du commerce sur le Display de demain et la meilleure manière de mettre en avant les promotions en magasin.

Nous pouvons faire beaucoup de choses en interne chez Nestlé, mais nous ne pourrons changer les choses de manière décisive qu’avec tous nos partenaires. Nous devons travailler avec nos fournisseurs sur l’optimisation de leur chaine logistique vers nous. Il est beaucoup plus compliqué d’engager nos clients et la grande distribution dans une optimisation de bout en bout. Il est extrêmement important que tous les engagements pris individuellement dans Fret 21 soient, à un moment, liés les uns avec les autres. Certains de nos clients ont pris des engagements extrêmement forts, mais ils sont complètement silotés par rapport aux nôtres. Parfois, l’optimisation de l’un entraîne une complète désorganisation de l’autre. Il faut rendre chacun responsable de l’impact qu’il va avoir sur la chaine globale.