Pepsico : « Nous avons décidé de repenser notre réseau logistique à l’échelle européenne »
Par Guillaume Trecan | Le | Industrie
Laurent Kamiel, directeur supply chain de Pepsico France, a redéfini son schéma logistique pour réduire drastiquement le nombre de kilomètres parcourus. Cette réorganisation fait écho à une recherche de rationalisation et d’harmonisation des opérations du géant des snacks et boissons qui va déboucher sur la création d’un CSP européen, centralisant une partie des fonctions supply chain.
Quel est le périmètre de responsabilité de la direction supply chain France ?
Pepsico France emploie 700 collaborateurs dont 110 personnes dans la fonction supply chain. Plusieurs équipes la composent : forecasting ; gestion des stocks ; gestion des flux et livraison à nos clients ; commercialisation et mise en fabrication des nouveaux produits ; qualité ; transports et entrepôts. Nous gérons les flux de trois types de produits : les boissons (Pepsi, Seven Up et Lipton Ice Tea) les snacks (Lays, Doritos et Benénuts) et les produits frais (Alvalle Gazpacho). Sur la partie boisson, nous travaillons avec des co-manufacturiers en France - notamment Refresco, qui embouteillent les boissons que nous produisons à Cork, en Irlande. Sur la partie Snacks, nous nous appuyons sur deux usines, en Belgique et en Espagne. Nos produits sont distribués via huit sites de stockage sous-traités, spécialisés par types de produits.
En quoi consiste la réorganisation de votre schéma logistique ?
Nous avons décidé de repenser notre réseau logistique à l’échelle européenne, en nous orientant, en France, vers une répartition nord sud des sites de stockage et des sites de production. Notre objectif est de diminuer le nombre de kilomètres parcourus et de remplir au maximum les camions, pour réduire nos coûts et l’empreinte carbone. Historiquement, nous utilisions principalement l’usine de Belgique pour nous fournir en chips et, à la marge, l’usine espagnole. A partir de cette année, notre usine espagnole livrera directement nos clients, sans passer par un centre de distribution. A terme nous voulons livrer 40 % des volumes depuis l’usine espagnole vers le sud de la France et 60 % depuis l’usine belge, positionnée en miroir de l’Espagne, via un entrepôt vers le nord de la France.
Nous avons refondu nos process et nos outils pour faire en sorte que les systèmes d’informations et les équipes soient interconnectées
Que change pour vous le fait de recourir à un prestataire interne, la BU Espagne, plutôt qu’un prestataire externe ?
Nous avons refondu nos process et nos outils pour faire en sorte que les systèmes d’informations et les équipes soient interconnectées, en dépit des différences de méthodes de travail et de systèmes d’information - nous travaillons avec Oracle en Espagne et SAP en France. Nous avons besoin d’un fort degré de collaboration, par exemple pour déléguer une partie de la gestion de notre stock à la BU espagnole, ou encore pour communiquer sur le remplissage des camions et sur l’émission de factures.
Allez-vous poursuivre plus loin la redéfinition du schéma logistique ?
L’année prochaine, nous étendrons à nos boissons cette réflexion sur l’équilibre des productions entre les différents sites. Il n’est évidemment pas question de remettre en cause notre ancrage local, ni nos partenaires avec qui nous avons des engagements de long terme et qui nous accompagnent depuis longtemps, mais de fabriquer nos produits au plus près de nos clients. Nous développons ainsi les capacités pour accompagner la croissance.
Qu’est-ce qui motive cette révolution de l’organisation industrielle et logistique ?
Le groupe Pepsico, comme la plupart des entreprises agroalimentaires, traverse une période de forte transformation. Dans un contexte de forte pression inflationniste, la priorité de la supply chain est de compenser au maximum cette inflation, tout en œuvrant à la décarbonation et à la digitalisation.
Dans ce contexte particulier, l’Europe doit également améliorer sa rentabilité en menant un travail d’harmonisation et de rationalisation. Cet effort va nous permettre de libérer nos énergies, nos capacités d’innovations et récupérer de nouvelles parts de marché. Cela apportera des leviers d’optimisation importants au niveau de nos usines et de notre réseau logistique : réduction de la charge de travail, rationalisation des stocks et des temps de changement. Ce travail d’uniformisation s’applique aussi aux différentes formules entre nos produits en Europe, dont nous améliorons en permanence les qualités nutritionnelles.
Nous avons baissé l’intensité de nos émissions de 28 %, soit 12 % d’émissions en moins
Quelles sont vos actions en matière de décarbonation ?
D’ici à 2030, Pepsico va réduire de 40 % ses émissions sur une base 2015, soit une baisse de 5 % par an. Nous avons démarré ce travail il y a trois ans en nous engageant dans la démarche Fret 21. Depuis le début de ce programme, nous avons baissé l’intensité de nos émissions de 28 %, soit 12 % d’émissions en moins en tenant compte de notre croissance. Cela fait de la France la BU Pepsico la plus avancée d’Europe. Nous mettons en œuvre plusieurs leviers. Nous avons évoqué la réduction du nombre de kilomètres parcourus et l’amélioration du taux de remplissage de nos camions. Cette action devrait nous faire gagner environ 1 500 tonnes de CO2 par an, sur un bilan total de 35 500 tonnes.
Nous réfléchissons à l’utilisation du transport fluvial et nous développons le recours au multimodal, notamment en utilisant au maximum le ferroviaire. En deux ans, nous avons multiplié par deux les distances parcourues en train, qui représentent près de 8 % de nos flux.
Enfin, nous avons multiplié par trois notre taux de carburants alternatifs, HVO et B100. Ils représentent aujourd’hui 15 % de nos flux. Nous voulons être parmi les premiers à exploiter les capacités disponibles. Nous voulons également démarrer des tests de véhicules électriques sur de courtes distances, sur notre réseau de distribution hors domicile qui reste très concentré sur la région parisienne.
Je suis convaincu que nous ne réussirons cette décarbonation qu’en travaillant avec d’autres chargeurs
Comment convainquez-vous vos prestataires transport d’aller dans cette direction ?
Au moment des évaluations, en début d’année, nous leur soumettons un volet engagement qui leur permet de nous soumettre toutes leurs initiatives de décarbonation. Nous réfléchissons aussi à conclure des contrats pluriannuels avec certains transporteurs qui nous apporteraient des solutions nécessitant des virages plus radicaux vers l’électrique et l’hydrogène. Je suis également convaincu que nous ne réussirons cette décarbonation qu’en travaillant avec d’autres chargeurs. Pour rentabiliser les investissements nécessaires, nous devrons sans doute mettre nos moyens en commun.
Comment se déclinent vos efforts de décarbonation sur le packaging ?
Nous menons un travail pour réduire au maximum nos emballages. Nous avons complètement repensé nos bouteilles de Lipton Ice Tea cette année et nous allons revoir nos boissons gazeuses en introduisant des bouchons attachés et en en réduisant l’épaisseur, avec pour résultat une réduction de 14 % du plastique utilisé.
Nous sommes fortement investis dans l’utilisation de matériaux recyclés et recyclables ; 100 % de nos bouteilles sont en plastique recyclé. Cela représente un surcoût de plus de plusieurs millions d’euros par an par rapport à du plastique vierge, mais notre volonté d’avancer est ferme. Nous travaillons maintenant sur la composition de nos paquets de chips ; sur les 3 principales gammes de Lay’s, 50 % de la composition est déjà d’origine végétale. Une filière de recyclage est en train de se mettre en place en France. Nous travaillons aussi sur les bouteilles en verre consignées et nous avons développé, le vrac, avec des machines Soda Stream pro qui peuvent distribuer des boissons sans emballages.
Avec quelles fonctions de l’entreprise collaborez-vous sur ces sujets qui impactent le dimensionnement de l’outil industriel ?
Ma fonction est intégrée au comité de direction France. Nous avons de très fortes relations avec les directions marketing, sur la partie évolution des produits et avec la direction commerciale, qui négocie les tarifs avec nos clients et doit pouvoir tenir compte des changements de produits dans les plans de lancement. Notre degré de coordination est aussi très élevé avec les usines, la R&D et les Achats au niveau européen. Les volumes des différentes usines dans les différents pays sont répartis en fonction d’un planning de fabrication européen. Et bien sûr avec la direction RSE avec laquelle nous travaillons main dans la main.
Une réorganisation est en cours au niveau européen, dans un souci d’optimisation des coûts et d’augmentation de l’efficience
Comment l’équilibre entre autonomie des pays et coordination européenne évolue-t-il ?
Historiquement, chaque pays bénéficie d’une relative indépendance, autant au niveau des produits que des outils. Une réorganisation est en cours au niveau européen, dans un souci d’optimisation des coûts et d’augmentation de l’efficience, qui va conduire, en début d’année prochaine, à la création de centres de services partagés au niveau européen. Ils sont destinés à centraliser certaines fonctions opérationnelles, dont une partie de la supply chain. Une partie des équipes restera en local et une autre partira dans ces CSP, mutualisée entre différents pays : gestion des plannings des entrepôts, réception des commandes clients, gestion de la VMI, du planning des usines, du transport amont…
Nous avons mis en place beaucoup de programmes pour 2023 et 2024 afin d’automatiser et de digitaliser un maximum de tâches
Quelle est votre feuille de route en matière de digitalisation ?
Nous avons aujourd’hui peu d’outils digitaux centralisés mais c’est un virage indispensable et nous avons mis en place beaucoup de programmes pour 2023 et 2024 afin d’automatiser et de digitaliser un maximum de tâches qui se font encore manuellement, comme par exemple la gestion des pénalités, ou encore la facturation de nos transporteurs.
Investissez-vous également dans des outils modernes d’intralogistique ?
La montée en charge du site espagnol a été permise par le développement d’un centre logistique entièrement robotisé, adossé à l’usine. Nous réfléchissons aussi à accroître la mécanisation sur nos deux principaux sites de boissons. Sur notre principal entrepôt du Nord de la France nous réfléchissons à de nouvelles pistes de productivité et de durabilité. Nous venons aussi de déployer notre premier chargeur de cour électrique avec Blyyd. Un chargeur qui nous revient moins cher à opérer que son équivalent diesel et que nous pouvons faire fonctionner la nuit en générant moins de nuisances sonores.
Le contexte actuel où la supply chain est mobilisée pour compenser l’inflation est-il propice pour demander des moyens supplémentaires ?
Si c’est pour des projets rentables, oui. Beaucoup de solutions de digitalisation ou d’automatisation affichent des ROI rapides. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de se lancer dans de vastes projets chers et complexes. Il est possible de mettre en place une grande variété de petites actions concrètes. Par ailleurs nos actions de rationalisation de nos références nous permettrons d’atteindre plus facilement la taille critique à partir de laquelle ces investissements seront rentables. Notre activité étant très cyclique, nous devons réfléchir à comment dimensionner nos outils logistiques pour limiter les débords et les inter-entrepôts auxquels nous sommes obligés de recourir lors des pics de saisons.