Gattefossé : « les aspects économiques et environnementaux doivent aller dans la même direction »
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Eric Cochet, responsable supply chain du groupe familial lyonnais Gattefossé, explique comment il place les leviers décarbonation et réajustement des flux au service du développement international du groupe. Ce fournisseur d’ingrédients cosmétiques et d’excipients pharmaceutiques, vient ainsi d’investir dans un nouveau site de production, implanté aux Etats-Unis qui lui permettra de sécuriser ses flux.
Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre
Gattefossé en chiffres
Chiffre d’affaires : 153 M d’€, dont 75 % à l’export
Effectif total : 375 salariés
Quel est le périmètre de votre fonction chez Gattefossé ?
J’ai rejoint Gattefossé en avril 2022 en tant que responsable de la supply chain du groupe avec les achats, la planification de production, les approvisionnements et la logistique. Sous la tutelle de la direction des opérations industrielles, je pilote actuellement une équipe de 25 personnes, sachant que la logistique de distribution est externalisée.
Elle a toujours été externalisée ?
Non, c’est le cas depuis un peu plus de quinze ans seulement. Nous avons d’ailleurs fait évoluer notre organisation ces derniers mois. Depuis 2007, nous travaillions avec le même prestataire pour notre usine principale de la région lyonnaise mais nous avons choisi désormais de faire confiance à Rhenus. Depuis le mois de mars, nous occupons environ 6 000 m² de leur tout nouvel entrepôt spécialisé dans la santé (18 000 m²). Nous sommes leur premier client pour ce site. Il est situé, à Saint-Quentin-Fallavier, à une quinzaine de kilomètres de notre usine, c’est-à-dire à une distance analogue à notre ancien entrepôt. Notre partenaire transport effectue plusieurs navettes par jour pour évacuer vers cet entrepôt les flux de production.
Il était important pour nous de pouvoir nous appuyer sur un prestataire capable de nous accompagner dans notre déploiement à l’étranger
Pourquoi cette évolution ?
Notre précédent partenaire n’était pas un spécialiste de la logistique mais plutôt du transport. De plus, Rhenus a non seulement une expertise pharma mais aussi une envergure mondiale. Il était important pour nous de pouvoir nous appuyer sur un prestataire capable de nous accompagner dans notre déploiement à l’étranger. Autre intérêt très important de ce nouveau site, il devrait être autosuffisant en énergie.
Rhenus se charge de la préparation, de la distribution vers la France, l’Italie et l’Allemagne. Pour les autres zones, ce sont en général les clients qui organisent l’enlèvement de la marchandise sur place. Rhenus stocke les produits finis, ainsi que des semi-finis sous-traités chez des prestataires et une partie de nos emballages. Nous profitons des allers-retours quotidiens pour les rapatrier en flux tendu sur notre site lorsque c’est nécessaire. En parallèle, nous disposons d’un entrepôt en propre, de 2 000 m², à Saint-Priest pour les matières premières.
Tous vos flux de production viennent-ils de vos propres usines ?
Au-delà de l’usine principale de Saint-Priest et de Rhenus ; nous travaillons avec quelques prestataires importants, que nous préférons d’ailleurs appeler des partenaires : un en Espagne et un dans le Nord de la France (dont une partie de la production est dirigée vers notre entrepôt de Rhenus). Ils fabriquent des produits finis et semi-finis, qui sont ensuite livrés sur le site de Rhenus à Saint-Priest pour conditionnement ou directement chez les clients. S’y ajoute une ligne de production à Singapour, qui nous appartient mais est opérée par un partenaire, pour approvisionner le marché asiatique. Globalement, notre production est assurée à 50 % en interne et 50 % par des prestataires.
Et depuis, quelques semaines, vous pouvez aussi vous appuyer sur une nouvelle usine, aux Etats-Unis cette fois (Texas). Pourquoi cette implantation et qu’est-ce que cela change dans vos planifications industrielles et votre gestion des flux ?
Le marché américain affiche un potentiel très intéressant. Une implantation sur place facilite forcément le commerce dans ce pays, en particulier aux Etats-Unis où ils sont très friands du « made in America ». Et puis, la question environnementale se posait puisque, déjà, nous expédions depuis Saint-Priest quatre à cinq containers par mois vers les Etats-Unis auxquels s’ajoutent quelques containers pour le Mexique, le Canada etc.
Cette troisième usine en propre permettra de sécuriser la production dans une nouvelle zone géographique
Autre point crucial : après la France et Singapour, cette troisième usine en propre permettra de sécuriser la production dans une nouvelle zone géographique. Ce sujet est aujourd’hui devenu primordial depuis la crise Covid. Dernier intérêt, très important aussi : ce nouveau site nous ouvrira de nouvelles sources d’approvisionnement. Jusqu’ici, nous étions très dépendants de l’Europe. Désormais, nous sommes capables de sourcer en Europe, en Asie, et en Amérique.
Ce site pourra absorber au moins 80 % de nos flux sur cette zone dans les trois à cinq ans qui viennent, avec une montée en puissance progressive, au fil des process de validation des clients. Ces process sont assez longs dans le milieu de la pharma. Globalement, la capacité de production de ce nouveau site représentera 50 à 70 % de celle de Saint-Priest.
Quelle est votre mission dans cette nouvelle organisation ?
Je dois travailler à la réorganisation des flux. L’usine américaine approvisionnera principalement le marché américain mais il y aura aussi des flux vers l’Asie et l’Europe en cas d’insuffisance capacitaire sur les sites existants. Il faut donc anticiper et travailler les coûts afférant à ces transports, aux taxes, droits de douane etc, afin d’évaluer le coût global selon le site de production retenu. Il faut par ailleurs équilibrer, en termes de planification, les charges de production sur les différents sites afin d’avoir un bon équilibre, de ne pas saturer un site au risque de mettre en péril notre qualité de service et nos délais de livraison. En face de ces impératifs, il faut intégrer dans l’équation l’impact RSE évidemment : les aspects économiques et environnementaux doivent aller dans la même direction.
Toutes les navettes entre notre usine de Saint-Priest et l’entrepôt de Rhenus sont assurées avec des camions roulant au gaz
Quels sont les priorités de votre feuille de route pour les prochaines années ?
La priorité numéro 1 concerne justement la décarbonation, en équipe avec le pôle RSE de l’entreprise. Le sujet est au cœur de toutes nos décisions et orientations désormais. Par exemple, toutes les navettes entre notre usine de Saint-Priest et l’entrepôt de Rhenus sont assurées avec des camions roulant au gaz. Nous travaillons aussi à l’accompagnement de nos clients distributeurs qui privilégient parfois trop le transport aérien à notre goût. Nous essayons de les orienter vers du maritime en les aidant à consolider leurs commandes. Côté approvisionnement, la question est primordiale aussi. Ce sujet de l’impact carbone fait aujourd’hui partie intégrante de mes missions.
Portrait
Eric Cochet est ingénieur généraliste de formation. Il a passé 17 ans chez Markem-Imaje, à différents postes (en production, en process, construction d’une nouvelle usine en France etc) avant de partir quatre ans aux Etats-Unis pour gérer une plateforme de production, distribution et de réparation pour la zone Amérique du Nord, Amérique du Sud. Après un retour en France autour de nouveaux projets, il a rejoint le groupe XPO Logistics (ex Norbert Dentressangle) pendant huit ans. Dans un premier temps, comme responsable du bureau d’études pour le « transport Europe » avant de diriger les opérations de la branche 4 PL de XPO Logistics ( KeyPL Europe). Il a par la suite piloté quelques mois la direction d’un centre de distribution Amazon et enchainé avec du management de transition.