Petit Bateau : « De zéro à 40 % de réactivité entre 2020 et 2025 »
Par Guillaume Trecan | Le | Retail
Sylvain Cheret, directeur supply chain End to End de la marque Petit Bateau, a contribué à réduire le leadtime de production de douze à six semaines. Aujourd’hui, un tiers des pièces de chaque collection est redéfini en cours de saison, avec à la clé une réduction des stocks de moitié, moins de démarque et une meilleure marge.
En quoi consiste le projet de transformation de la supply chain que vous avez conduit depuis deux ans ?
Courant 2019, alors que l’entreprise commençait à subir un tassement de ses ventes et un gonflement de ses stocks, l’idée de mettre en place une dynamique pour éviter d’engager trop tôt nos achats a été initiée par Petit Bateau. C’était le début d’un projet de transformation d’un modèle d’achats consistant jusqu’à présent à commander la totalité de nos collections avant le démarrage de la saison. Nous devions mettre en place des organisations, des mécanismes et des outils pour être capables de piloter en cours de saison, au moins un tiers de nos approvisionnements en fonction du marché et de la demande. Il nous fallait élaborer de nouveaux schémas d’approvisionnement pour aller plus vite et mieux coller aux besoins du marché.
Nous engageons 70 % de la collection avant saison, pour conserver 30 % en cours de saison
Où en êtes-vous par rapport à la cible ?
Nous en sommes proches. Nous engageons 70 % de la collection avant saison, pour conserver 30 % en cours de saison. Nous avons changé complètement de logique en travaillant avec nos équipes de production à la réduction des délais de quatre à six semaines, là où le leadtime moyen de Petit Bateau était auparavant de douze semaines.
Qu’est-ce qui justifiait un tel fonctionnement ?
Nous étions dans un fonctionnement classique de l’univers du textile, avec une planification à moyen long terme de nos productions et une mise à disposition des stocks pour nos clients au démarrage de la saison. Ce modèle pouvait être intéressant dans les phases de croissance, lorsque nous étions à peu près assurés de vendre la totalité du stock, mais plus adapté aux évolutions de nos marchés et à la forte imprévisibilité de la demande.
Nous produisons nos propres tricots - dont la moitié en France - et nous confectionnons dans des sites de production en France ou sur le bassin méditerranéen
Nous avions en outre une force inédite : notre outil industriel intégré, au service de la marque. Nous produisons nos propres tricots - dont la moitié en France - et nous confectionnons dans des sites de production en France ou sur le bassin méditerranéen pour la plupart.
Sur la base de quelles informations réorientez-vous vos achats en cours de saison ?
Nous réalisons plus d’un quart de notre chiffre d’affaires en ligne. Dès qu’un produit entre en stock, il est en vente sur notre site internet et, en une dizaine de jours, nous connaissons son potentiel, grâce à nos outils de projection de vente et de courbes de vies. Cela nous fait gagner beaucoup de temps. Prenons par exemple un produit que nous devons commercialiser en octobre, nous avons une idée de son potentiel dès la fin juillet, de sorte que, quand il est en phase de commercialisation, nous avons déjà pu renforcer le stock pour ne pas être pris de court en cas de succès.
Comment avez-vous procédé pour passer ainsi à un tiers de vos commandes passées après le lancement des collections ?
Nous l’avons fait progressivement, dans le cadre d’un vaste programme de transformation de l’entreprise, décliné en 18 projets, dont l’écriture d’une trajectoire qui doit nous permettre de passer, entre 2020 et 2025, de zéro à 40 % de réactivité. Nous avons dû organiser nos moyens de production à deux vitesses pour pouvoir travailler à la fois sur le long et le court terme. Nous avons constitué une équipe réactivité avec des Demand Planers, des approvisionneurs, des chargés de production, du contrôle de gestion et des datas analysts, qui consacrent 30 à 50 % de leur temps à mobiliser des moyens et réserver des capacités dédiées à des flux plus rapides.
Toutes les semaines, en cours de saison, nous analysons les démarrages de vente de nos produits et nous relançons les fabrications pour des livraisons sous quatre à huit semaines. Pour la saison automne hiver, une campagne de réactivité se déroule par exemple du 15 août au 30 octobre.
Quels ont été les facteurs de réussite de ce projet en termes de conduite du changement ?
La direction de Petit Bateau a fait de ce projet un élément de la stratégie d’entreprise et un projet collectif. Pour transformer ce modèle, il a fallu mobiliser tous les départements, pas seulement la direction des Opérations, mais aussi la direction Produit, le Commerce, la Finance, etc. A travers ce projet, la direction générale a affirmé sa volonté de décloisonner les organisations. Cette dynamique a permis de développer très fortement la transversalité entre les directions Produit et Opérations.
Une nouvelle direction supply chain s’est constituée en intégrant l’amont et l’aval
Ce décloisonnement a-t-il eu des conséquences sur l’organisation supply chain ?
Une nouvelle direction supply chain s’est constituée en intégrant l’amont (les équipes de prévision, de planification et des approvisionnements en charge du pilotage des sites de production, le Demand Planing) et l’aval (pilotage des stocks et de la demande client). Nous sommes ainsi devenus une direction supply chain End to End capable d’influer sur l’ensemble du cycle de vie des produits, avec une équipe de cinquante personnes.
Dès qu’un produit est validé dans une collection, les équipes supply chain prennent le relais, pour déterminer les volumes d’achat prévisionnels par article, en traduire des volumes de matière à produire, des commandes aux fournisseurs, planifier l’approvisionnement des usines. Elles traitent aussi tout le flux aval, en répartissant les marchandises entre les réseaux de magasins, analysent les ventes et font des projections jusqu’à la fin de saison. Faire travailler ensemble ces deux dimensions de la supply, en évaluant leur action sur les mêmes critères - les délais, la diminution de nos stocks et l’amélioration des ratios de gestion - a beaucoup fait bouger les choses.
En deux ans, nous avons déjà réduit les stocks de 25 % et nous avons amélioré la rentabilité de l’entreprise de manière visible
Qu’est-ce qu’il vous reste à faire pour gagner les dix points qui vous séparent de l’objectif de 40 % des collections approvisionnées en délais courts ?
Nous devons nous appuyer encore davantage sur notre outil industriel, au travers notamment de nos investissements récents, comme l’acquisition en 2021 d’un outil d’impression numérique qui nous permet de raccourcir sensiblement les délais de développement et de production. Nous avons développé avec notre site français, pour certaines demandes, un service unique en France : l’ultra-réactivité, nous permettant de produire sous des délais très courts, en moins d’une semaine.
En outre, ce n’est pas le seul indicateur que nous nous sommes fixé. Nous devons aussi réduire les stocks et améliorer la marge. En deux ans, nous avons déjà réduit les stocks de 25 % et nous avons amélioré la rentabilité de l’entreprise de manière visible.
Nous avons également conduit d’autre projets, comme le lancement fin 2021 d’une solution OMS, et le déploiement des service omnicanaux : click&collect et ship from store. Le client qui passe commande sur internet peut désormais avoir la visibilité de tout ce qui est en entrepôt ainsi que dans l’ensemble de nos magasins.