La Poste : « Ces derniers temps, notre logistique interne est à géométrie variable »
Par Guillaume Trecan | Le | Retail
Julien Le Blanc, directeur de la supply chain interne du groupe La Poste décrit les solutions déployées à son niveau et en collaborant avec la direction achats pour faire face à une situation extrêmement tendue, en particulier sur les approvisionnements de papier.
Que représente votre périmètre de responsabilité ?
Dans cette période incertaine avec une visibilité réduite, deux grandes missions m’ont été confiées. La première consiste à transformer et rénover de bout en bout la supply chain interne du groupe La Poste dans une période difficile. Cette mission transverse est en cours avec la coordination d’un écosystème interne d’une centaine de personnes.
Nous expédions un peu plus de deux millions de colis par an pour cinq millions de lignes de commande
Je dois en même temps assurer les approvisionnements et la gestion du run au quotidien. Pour cette seconde mission, la direction supply chain interne est la tour de contrôle qui pilote l’acheminement de toutes les marchandises dans nos différents établissements et points de vente. Nous acheminons aussi les vêtements professionnels et les outils de mobilité digitale de nos agents. Nous expédions un peu plus de deux millions de colis par an pour cinq millions de lignes de commande. Nous nous appuyons sur un entrepôt central opéré par notre branche Service Courrier Colis et nous travaillons avec les opérateurs du groupe La Poste (Chronopost, Colissimo, Viapost et notre nouvel opérateur Log’Issimo…), ainsi que des fournisseurs externes pour les départements et régions d’Outre-mer.
Sur le run je manage en propre au total une soixantaine de personnes qui s’occupent de l’orchestration des approvisionnements, de la gestion de la qualité vis-à-vis de nos clients internes et de leurs réclamations.
Pour ne pas déstabiliser nos stocks et réserves stratégiques, nous avons dû mettre en œuvre des actions préventives
Que représentent les besoins en papier du groupe La Poste ?
Dans un établissement du groupe La Poste, on trouve énormément de produits à base de papier : enveloppes, timbres, emballages carton, formulaires imprimés, ramettes de papier, étiquettes…Tout ce périmètre représente des milliers de palettes dans notre entrepôt central. Depuis le mois de février, face à des tensions sur le marché, pour ne pas déstabiliser nos stocks et réserves stratégiques, nous avons dû mettre en œuvre des actions préventives.
Quels sont les phénomènes qui se conjuguent pour générer de telles tensions ?
La tension que nous subissons ces dernières semaines est double. La demande sur le marché est supérieure à l’offre à cause de problématiques de production en Europe, avec une grève en Finlande qui dure depuis plusieurs mois et un accroissement de la demande, notamment en Asie. S’ajoute à cela un embargo sur le bois venant de Russie et de Biélorussie, deux grands producteurs de bois et des tensions sur le transport et le coût du transport.
Quelles mesures avez-vous prises pour préserver votre supply chain ?
Peu après le déclenchement du conflit entre l’Ukraine et la Russie, nous avons cartographié nos produits à base de papier en fonction de leur degré d’importance de façon à pouvoir éventuellement prioriser les plus nécessaires, en lien avec les fournisseurs. Pendant le Covid, nous avions déjà renforcé notre PCA de bout en bout, en lien avec la prescription. Nous avions alors taggué une centaine de produits à base de papiers considérés comme stratégiques.
En partenariat avec la direction des achats, nous avons entrepris d’élargir notre sourcing. En complément d’actions correctives avec les fournisseurs habituels, les acheteurs se positionnent extrêmement vite sur la marchandise, en pratiquant des achats spots quand elle est disponible. Nous disposons également d’entrepôts de débord pour stocker un peu plus de marchandise afin de rehausser nos niveaux de réserves stratégiques sur ces produits à base de papier.
Nous devons être particulièrement attentifs à ne pas verser dans un surstockage qui pourrait déstabiliser le marché
Début avril, pour retrouver des niveaux de stocks confortables, nous avons également mis en place des mesures conservatoires provisoires, en limitant à la commande certains articles. L’idée étant d’éviter un syndrome de surstockage en local, lié à la peur de manquer. Etant donné le poids des achats de produits à base de papiers du groupe La Poste, nous devons être particulièrement attentifs à ne pas verser dans un surstockage qui pourrait déstabiliser le marché. Ces différentes mesures se réajustent en fonction de l’actualité.
Enfin, nous avons renforcé notre planification sur l’approvisionnement de tous nos produits à base de papier. Nous avons établi des prévisions de commande à six mois pour essayer de sécuriser au mieux un certain nombre de produits.
Quel est l’impact sur votre gestion de stocks ?
Ces derniers temps, notre logistique est à géométrie variable. Nous devons être capable de trouver des solutions en cas de pic et réajuster nos capacités quand le contexte le permet. La crise Covid a nécessité de faire du surstockage sur certains produits pour les sécuriser. Nous avons ainsi dû stocker des millions de masques. Lors du troisième confinement, en avril 2021, les consommations d’emballage Colissimo ont atteint des niveaux comparables à la période d’avant les fêtes de fin d’année. Nous l’avions anticipé en trouvant des capacités dans nos entrepôts et en débord.
Face à cette crise, renforcer la collaboration avec les Achats, était une évidence. C’est collectivement que nous trouvons les solutions
Quelle place a pris la collaboration avec les autres parties prenantes internes dans cet ensemble de solutions ?
Mi-mars, nous avons mis en place une « cellule mission fluidité approvisionnement » (communauté créée pendant le Covid), un comité de veille et de partage d’informations avec toutes les parties prenantes du groupe : clients internes, direction achat, entrepôts… Ce dispositif est planifié dans les agendas tous les quinze jours et nous l’activons en plus au besoin. Face à cette crise, renforcer la collaboration avec les Achats, était une évidence. C’est collectivement que nous trouvons les solutions. Ensemble, nous avons aussi beaucoup retravaillé sur le juste besoin pour ne pas gaspiller, surstocker où surconsommer.
Comment avez-vous communiqué en interne sur ces mesures ?
Nos mesures conservatoires temporaires mises en place sur certains produits se sont accompagnées d’actions de pédagogie. Début avril, nous avons communiqué massivement sur ce thème auprès des mails des collaborateurs, sur les réseaux sociaux d’entreprise et les intranets. Nous en avons profité pour relancer la communication sur les aspects RSE. Le papier non consommé représente une économie à la fois pour la planète et financièrement.
Plus généralement, au niveau de l’entreprise, ce genre de période permet aussi de reprendre la sensibilisation sur la nécessité de poursuivre, voire d’accélérer la digitalisation afin d’être moins vulnérables par rapport à certains supports en papier.
Ces sujets sont-ils remontés jusqu’à la direction générale du groupe ?
Début avril, nous avons conçu un reporting synthétique partagé en comité exécutif pour faire part des risques de pénurie et d’impact financier que ces sujets pourraient engendrer au niveau de l’entreprise. Nous avons segmenté notre veille entre les produits stratégiques vendus ou support à la vente et les produits bureautiques, ou encore informatique avec un baromètre très visuel de la situation à date, quelques points clefs d’actualité, les tendances tarifaires, les actions attendues et les risques sur les projets majeurs du groupe.
Nous sommes aussi là pour expliquer la situation. Notre travail consiste à donner tous les outils aux dirigeants du groupe, les informer sur les tendances
Comment envisagez-vous les mois à venir ?
Il est bien difficile de prévoir ce qui va se passer demain mais, si la situation perdure, nous risquons de voir ces difficultés se renforcer. La fonction supply chain est une fonction support, au service du Groupe et de ses clients qui doit faire en sorte que nos établissements ne soient pas dépourvus en marchandise, mais nous sommes aussi là pour expliquer la situation. Notre travail consiste à donner tous les outils aux dirigeants du groupe, les informer sur les tendances, mettre en place des dispositifs de suivis, de monitoring, de pilotage et de sensibilisation… mais à l’impossible nul n’est tenu.