Club Supply Chain : La logistique et le grand public, je t’aime moi … non plus
Par Mehdi Arhab | Le | Industrie
Une vingtaine de directeurs logistiques et supply chain de grands groupes ont débattu de l’image que se fait le grand public de la logistique. Beaucoup estiment que la fonction doit opérer des changements dans sa façon de communiquer, même si pour certains, il est illusoire d’être aimé de tous. Le plus important étant de l’être auprès des personnes pour qui ça peut l’être, dans les entreprises et collectivités.
L’image de la supply chain, ou plutôt, de la logistique, n’est pas la meilleure. Elle est en décalage avec son importance réelle dans l’économie, dans la société. Pourtant les modes de consommation de la population, de plus en plus addict aux avantages qu’offre le e-commerce, devraient la mettre en valeur. Mais rien n’y fait ; qu’importe son importance au fonctionnement des échanges. Sa mise en lumière pendant la crise sanitaire du Covid-19 ne l’a finalement pas tant aidé que cela. La logistique est encore mal aimée, loin d’être reconnue à sa juste (et réelle) valeur. Elle est négligée, parfois même méprisée par ceux qui y recourent le plus, sans même le savoir. Les signes apparents de la logistique, à savoir les transports, les entrepôts, sont, par beaucoup, perçus comme des sources de nuisance. « L’image du camion, plus que celle du site, pose un véritable problème », assure l’un des invités. Mais sans logistique, l’activité économique s’arrête. Sans logistique au jour le jour, les systèmes d’approvisionnement et de distribution s’effondrent à la fois pour les magasins physiques, pour les magasins virtuels et pour les plateformes de livraison à domicile.
Un élu préfèrera toujours l’installation d’une usine que d’un site logistique sur son territoire et cela pour des questions d’image. C’est plus noble d’abriter une usine qu’un entrepôt logistique aux yeux de beaucoup
C’est aussi pourquoi il y a une différence notable entre la vision de la logistique au sein même des entreprises et celle de l’opinion. Et il faut bien avouer que chez les premières, la logistique est perçue, de plus en plus, comme un levier de performance de premier plan. « La vision de la logistique au sein des entreprises dépend de ses enjeux. Dans une entreprise, où elle ne représente que peu en matière de coûts, la logistique ne pèse pas grand-chose. En revanche, lorsqu’elle commence à représenter au moins 10 % des coûts, tout le monde s’y intéresse. Et là, elle devient l’une des fonctions les plus exposées et ne souffre d’aucun problème de reconnaissance. Bien au contraire », assure l’un des convives. Mais à la vision du grand public, s’ajoute une hostilité croissante des collectivités territoriales à l’égard des projets logistiques. Beaucoup d’élus, invoquant parfois des raisons assez floues, ne sont que très peu enclins à laisser des projets naître sur leur territoire et cela malgré le fait que la logistique est un pourvoyeur d’emplois extrêmement important. « Il y a une grande difficulté à ouvrir des entrepôts logistiques sur les territoires. En plus de cela, les coûts sont énormes et les temps de développement sont importants », explique l’un des convives. « Il y a de l’incompréhension chez les pouvoirs publics en ce qui concerne la logistique. Un élu préfèrera toujours l’installation d’une usine que d’un site logistique sur son territoire et cela pour des questions d’image. C’est plus noble d’abriter une usine qu’un entrepôt logistique aux yeux de beaucoup », embraye un autre.
De l’autre côté, la congestion et la densification des espaces urbains ne cessent de provoquer des nœuds dans le cerveau des professionnels de la supply chain, de la logistique et du transport. Pour réduire l’incidence de la logistique et du transport dans les centres urbains (et centres-villes) les chargeurs, logisticiens et transporteurs tentent de trouver les meilleurs compromis pour contenter la quiétude des riverains / citoyens et, en parallèle, la qualité de service à destination de ces mêmes individus toujours plus exigeants lorsqu’ils revêtent le costume de client. « Il y a une forme de méconnaissance sur la logistique », explique l’un des convives. « Tout le monde veut être livré, mais personne ne veut de camion dans sa rue. Tout le monde veut profiter des bénéfices de la logistique, mais personne ne veut d’entrepôt dans sa commune », assène encore un autre. Le ton est donné.
Un sujet qui relève de la sociologie
La logistique est quoiqu’il en soit à un moment clé de son histoire. Le plus important même. Les clients sont si exigeants (et si impatients) qu’il est impensable de proposer un faible niveau de service. La logistique doit s’inscrire dans un service de juste prestation, ni plus, ni moins. Et pourtant, les citoyens-clients ne la portent pas encore dans leur cœur. Elle n’a pas bonne presse. Il est temps, sans doute, de la faire passer de l’ombre à la lumière. Pour cela, peut-être faudrait-il la théâtraliser, ou du moins, mieux la marketer et, en somme, créer un nouveau narratif. « Il est important que nous sortions du bois pour montrer ce que nous faisons de bien, notamment en matière de décarbonation », expose l’un des invités.
La logistique est un facteur d’hygiène. On ne la remarque que lorsqu’elle ne fonctionne pas
Pour beaucoup, les entreprises en premier lieu, une logistique qui fonctionne efficacement, est une logistique qui ne fait pas de bruit. Et cela ne l’aide sans doute pas. « La logistique vient casser la magie, elle ramène à une réalité de terrain. Une marque n’a aucun intérêt à dévoiler les coulisses d’une commande d’un smartphone ou d’un canapé », explique l’un des convives. Or, pour faire de la logistique quelque chose de séduisant, un travail de communication doit être opéré. Il est même indispensable de le faire pour souligner que la performance de la logistique est présente dans de nombreux moments de nos vies quotidiennes. « La logistique est un facteur d’hygiène. On ne la remarque que lorsqu’elle ne fonctionne pas », clame l’un des invités.
Mais l’un d’eux s’oppose à cette vision. Pour lui, le défaut de visibilité de la logistique n’est en rien un problème. « Pourquoi chercherait-on à être bien vu ? Nous n’avons rien à prouver. Il ne faut pas chercher à être aimé par tout le monde. Et chercher à être bien vu est une cause perdue. Le plus important, c’est d’être reconnu par les personnes qui considèrent la logistique comme importante. Il n’y a que cela qui compte. »
Reste tout de même à avouer que la logistique fait trop peu de place aux femmes. Et cela n’aide pas à grandir son image. Peut-être n’a-t-elle pas besoin d’être aimé par tous, mais faut-il encore qu’elle donne sa chance à plus de monde et qu’elle accepte de dégenrer son image. Force est d’admettre en effet que les femmes sont encore peu présentes dans les postes de top management logistique. L’intégration des femmes dans le top management logistique pourrait d’ailleurs favoriser une forme de rupture avec une ancienne culture machiste. « Les Achats ont su opérer un retournement et intégrer plus de femmes », note l’un des invités. La question est de savoir si les entreprises ne recrutent-elles pas assez de talents féminins volontairement, ou alors les talents féminins disponibles ne sont-ils pas disponibles en quantité suffisante ? Les programmes universitaires et en école de commerce sont pourtant de plus en plus nombreux. Mais là encore, rien n’y fait. Le temps, lui, fera peut-être son effet.