Stratégie supply

Cristalco : « L’engagement dans Fret21 nous permet de passer à un niveau de maturité supérieur »

Par Mehdi Arhab | Le | Green

Les directeur supply chain et directeur logistique & S&OP de Cristalco, Jean-Marc Sarrazin et Thierry Gribet, nous décrivent les efforts et engagements de la filiale commerciale de la coopérative sucrière Cristal Union sur le transport de marchandises. Et les premiers résultats enregistrés sont plus qu’encourageants.

Thierry Gribet, directeur logistique et S&OP et J-M Sarrazin, directeur supply chain de Cristalco - © D.R.
Thierry Gribet, directeur logistique et S&OP et J-M Sarrazin, directeur supply chain de Cristalco - © D.R.

Pourquoi vous êtes-vous engagés dans une démarche de labellisation Fret 21 ?

Jean-Marc Sarrazin : Le groupe Cristal Union fait office de pionnier dans le secteur sucrier après avoir lancé un vaste plan de transformation de ses outils industriels afin de verdir son activité. Nous nous sommes emparés très tôt des enjeux liés à la décarbonation, au management de l’énergie et à la gestion de l’eau. La coopérative travaille par exemple depuis plus de 20 ans pour devenir un important mobilisateur et non plus être un grand consommateur d’eau. Toutes nos sucreries travaillent pour être autonomes en eau et certaines le sont déjà depuis plusieurs années. Cristal Union a également, dès 2020, investi d’importants moyens pour alimenter certains de ses sites de production en biomasse, et a également en projet de récupérer la chaleur et la vapeur issue des pulpes de betteraves séchées, via des unités de séchage, afin de la réutiliser dans le procédé de la sucrerie et ainsi diminuer ses émissions carbones. Et aux chaufferies biomasses s’ajoute aussi le recours à des chaudières biogaz.

Nous nous sommes engagés à réduire nos émissions carbones de 7 % d’ici 2026, soit 3 000 tonnes économisées par rapport à notre année de référence.

C’est donc tout naturellement que nous avons souhaité initier une démarche qui intègre le transport dans cette politique. Le projet Fret 21, engagé en février 2023 pour trois ans, s’inscrit dans cette même volonté d’amélioration et de respect de l’environnement. Le transport aval doit aider à l’atteinte des objectifs de décarbonation fixés par le groupe. Fret 21 nous est apparu comme un outil ambitieux, engageant et susceptible de structurer notre plan d’action et nos méthodes de calcul et de suivi des émissions.

Dans le cadre de cette démarche, nous nous sommes engagés à réduire nos émissions carbones de 7 % d’ici 2026, soit 3 000 tonnes économisées par rapport à notre année de référence.

Thierry Gribet : Au regard de nos flux, de nos enjeux transports et de la politique menée par la coopérative, Fret 21 apparaissait comme la meilleure solution qui s’offrait à nous. L’engagement dans la charte et cette démarche de labellisation nous permet de passer à un niveau de maturité supérieur. Le programme permet effectivement de bien cadrer les choses, de mieux intégrer l’impact des transports dans notre stratégie de développement durable et de bénéficier d’outils et accompagnements personnalisés pour mesurer puis réduire l’empreinte du transport de nos flux de marchandises.

Quels sont les grands chiffres à retenir chez Cristalco ?

JMS : Le sucre, l’alcool et le bioéthanol de Cristal Union sont commercialisés par Cristalco. Quelque deux millions de tonnes de sucres, trois millions d’hectolitres d’alcool et tout autant de bioéthanol sont vendus par nos soins. Le tout représente un peu plus de 100 000 commandes à exécuter par an au départ des 13 sites de production de la coopérative en France, sans oublier de ses quelques centres de stockage.

Nos flux sont donc nombreux et variés. Le budget transport et logistique varie, selon les années, entre 100 à 120 millions d’euros - le transport pesant bien plus lourd que la logistique dans ce montant. Sur l’année 2023, nous avons par ailleurs réalisé 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

La direction supply chain de Cristalco en quelques mots

Après la naissance de Cristal Union comme coopérative sucrière en 2000 (NDLR : après la fusion des coopératives d’Arcis, de Bazancourt, de Corbeilles et d’Eclaron), Jean-Marc Sarrazin s’était appliqué à structurer la supply chain industrielle du groupe. Depuis près de cinq ans désormais, Thierry Gribet, la cinquantaine de collaborateurs et lui même entreprennent le même travail de structuration pour Cristalco, la filiale commerciale de la coopérative. Le périmètre d’intervention de la direction Supply Chain, rattachée à la direction générale de la filiale, couvre le S&OP, le Customer Service , le transport et la logistique aval ainsi que la gestion du SI Supply et les aspects réglementaires.

Comment se répartit votre mix modal ? Le ferroviaire occupe-t-il une place importante dans vos opérations de transport ?

JMS  : Le report route-ferroviaire se développe de plus en plus. Mais il faut bien avouer que la majorité de nos flux avals sont opérés sur la route. La distribution de nos produits a principalement lieu en Europe : en France, en Espagne, en Italie, en Allemagne et au Bénélux…

Près d’une dizaine d’actions ont été planifiées, dont certaines intègrent des reports modaux, avec la mise en place de nouvelles solutions multimodales

TG : Le ferroviaire gagne effectivement du poids mais il est encore assez difficile de le quantifier précisément. La route se prête assez bien à notre activité de distribution directe vers nos clients. Près d’une dizaine d’actions ont été planifiées, dont certaines intègrent des reports modaux, avec la mise en place de nouvelles solutions multimodales.

Pouvez-vous nous décrire la trajectoire de décarbonation du groupe et certaines des mesures que vous avez prises ?

JMS : Dans l’ensemble, notre groupe s’est engagé à réduire de 23 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport aux données récoltées en 2019, sur l’ensemble de ses scopes 1, 2 et 3. Cette trajectoire agricole et industrielle a été validée par le collectif Science Based Targets initative (SBTi). À l’horizon 2050, la coopérative vise également l’autonomie énergétique de ses sucreries, en utilisant notamment une partie de ses pulpes de betteraves comme combustible.

Le transport aval pèse bien moins lourd que toutes les composantes industrielles, agroalimentaires et énergétiques dans l’empreinte carbone du groupe, du fait de ses process industriels particulièrement lourds. Ce n’est pas pour autant qu’il faut imaginer qu’il ne puisse pas apporter sa pierre à l’édifice

Le transport aval pèse bien moins lourd que toutes les composantes industrielles, agroalimentaires et énergétiques dans l’empreinte carbone du groupe, du fait de ses process industriels particulièrement lourds. Néanmoins, comme je l’expliquais, ce n’est pas pour autant qu’il faut imaginer qu’il ne puisse pas apporter sa pierre à l’édifice et participer à l’atteinte de ces objectifs de décarbonation.

Notre périmètre d’engagement concerne, forcément, tous les flux de produits finis vendus par Cristalco au départ de la France bien sûr, mais aussi de l’Espagne et de l’Italie. Cela représente près d’une trentaine de flux distincts qui touchent les transferts inter sites de sucre vrac et conditionné - en sac pour le BtoB et le Retail essentiellement ; d’alcool vrac et conditionné ; d’éthanol (en vrac seulement) ainsi que de sirop vierge, d’EP2 et de mélasse. Une grande partie de nos flux sont opérés par des camions vracs.

TG : Nous avons souhaité attaquer le sujet de la décarbonation du transport dans son ensemble pour nous donner les moyens de nos ambitions. Il était important de ne pas se concentrer et s’enfermer sur un simple aspect.

Nos moyens de transport ont fait l’objet d’actions fortes, engageantes et particulièrement structurantes : l’intégration de carburants alternatifs dans nos transports routiers ; pilotage et accompagnement de nos partenaires transporteurs ; la mise en place d’une démarche achats responsables ; la mise en place report modal route-fer en collaboration avec des loueurs de wagons et entreprises ferroviaires, mais aussi route-maritime pour le sucre vrac ; report route-fer pour l’éthanol.

Concernant le report modal route-fer, nous nous appuyons notamment depuis le milieu d’année 2023 sur une plateforme logistique près de Vichy - où il n’y a plus de sucreries à proximité - vers laquelle nous acheminons des trains. Nous y déchargeons nos caisses mobiles 30 pieds et opérons ensuite la distribution du sucre vrac vers nos clients finaux dans un rayon de 150 km maximum. À terme, nous espérons y augmenter les volumes. En outre, une quarantaine de trains remplis de notre éthanol (15 000 hl) partent de notre usine de Bazancourt, près de Reims, et se rendent vers le port du Havre.

Pour ce qui concerne le report modal route-maritime, nous avons aussi engagé en 2023 une action d’envergure en Espagne. Depuis notre usine de Fontaine le Dun, le sucre vrac transite par le port du Havre jusqu’à Carthagène et est ensuite distribué à nos clients dans la région de Murcie, située dans le sud du pays. Ce type d’action constitue des leviers d’économies majeures de GES.

Comment vos transporteurs ont-ils accueilli ce choix d’intégrer des carburants alternatifs ? Étaient-ils en mesure de répondre à vos attentes ?

TG : Nous avons commencé à intégrer des carburants alternatifs lors de l’été 2023, quelques mois seulement donc après l’officialisation de notre engagement. Nos transporteurs recouraient quasi-exclusivement aux énergies fossiles et au gasoil. Cela ne pouvait continuer ainsi si nous voulions atteindre nos objectifs. Dans le cadre de la démarche Fret 21, nous nous sommes engagés à intégrer au moins 10 % de carburants alternatifs dans nos transports et supprimer tout autant de transport au gasoil.

JMS : Nous avons multiplié les rencontres et réunions de travail tout au long de l’année 2023 avec nos transporteurs, notamment les plus importants, pour leur expliquer notre démarche et les raisons de notre engagement. Ils y ont été sensibles, d’autant qu’ils ont bien compris que nous n’allions pas trahir cet engagement. Cela nous a aidé à aller plus vite.

TG : Il nous fallait les inciter et les accompagner pour qu’ils nous aident à atteindre nos objectifs. Nous les avons invités, à travers plusieurs initiatives, à se tourner vers des énergies alternatives, beaucoup plus propres et respectueuses de l’environnement. Cela n’a pas été difficile de les convaincre. Beaucoup d’entre eux nous avaient fait part de leur envie de s’améliorer et de poursuivre leur travail à nos côtés. Ils ont été nombreux à faire d’importants efforts et à nous présenter leurs avancées ainsi que leurs propres engagements

Dans l’ensemble, notre panel de transporteurs est donc resté assez stable. Il intègre toutes les typologies - petits, moyens et grands - et nous veillons à y faire rentrer des prospects après chaque appel d’offres.

Certains grands groupes de transport avec lesquels nous travaillons s’étaient déjà saisis du sujet, nous en avons donc profité ; d’autres en revanche étaient un peu à la traîne. Les plus petits, qui comptent pour certains une petite dizaine de véhicules seulement dans leurs parcs, accusent logiquement un peu plus de retard. Mais ils font preuve de bonne volonté pour mettre en application des améliorations. Ils ne sont évidemment pas exclus de la danse et continuent de travailler avec nous. Le tout est d’échanger avec eux, de les accompagner et de les aider pour qu’ils s’améliorent. À moyen-long terme, ils ne pourront que profiter de ces améliorations s’ils les incorporent.

Ce choix vous oblige-t-il à absorber des surcoûts ?

Certains nous avaient fait part de surcoûts auxquels ils faisaient face sur le B100, le HVO ou encore le XTL, mais ils ont pris le pari de les absorber, cherchant plutôt à occuper leurs moyens et amortir leurs frais fixes autant que faire se peut

TG : Les premières mises en place, faites pour la plupart avec des partenaires historiques, se sont effectuées à isocoûts. Nous avons profité d’un effet d’aubaine. Il est vrai que certains nous avaient fait part de surcoûts auxquels ils faisaient face sur le B100, le HVO ou encore le XTL, mais ils ont pris le pari de les absorber, cherchant plutôt à occuper leurs moyens et amortir leurs frais fixes autant que faire se peut.

En début d’année 2024, nous avons lancé un appel d’offres et trois axes dans les données d’entrées ont été énoncés. Un axe économique, qui reste un point important dans la définition de notre plan de transport et dans nos arbitrages ; un axe qualité de service, tout aussi important et qui doit nous permettre de nous prémunir de défauts de capacitaire ; et enfin un axe décarbonation. À la suite de cet appel d’offres, l’un des répondants s’est par exemple engagé à n’utiliser que des énergies renouvelables et décarbonées en échange d’un premium plus élevé de 2 %. Néanmoins, dans l’absolu, ce même transporteur a été en mesure de nous proposer des tarifs 10 % moins élevés que les prix de marché. De fait, il était finalement très simple pour nous d’absorber une hausse de 2 % pour accéder au premium.

Plus globalement, s’il nous faut absorber des surcoûts, nous le ferons, dans la limite où nous pourrons le faire de façon pérenne, sans nous mettre en danger. Il est évident que nos calculs n’auraient pas été les mêmes si nous avions lancé notre démarche en 2022, au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le coût de la décarbonation n’est évidemment pas neutre, mais il est aujourd’hui moins élevé que ce que certains ont pu connaître à ce moment-là.

De toutes les manières, notre démarche d’achats responsables s’appuie désormais sur la prise en compte de critères GES. Nous n’y reviendrons pas. Nous demandons d’ailleurs à nos transporteurs d’être signataires de la charte ou détenteur du label Objectifs CO2. C’est devenu un critère de choix dans la sélection de nos partenaires en la matière et il ne pouvait en être autrement au regard de nos démarches de décarbonation de nos transports.

Vos taux de chargement ont-ils été un sujet et fait l’objet d’actions également ?

TG : Ils l’ont été, mais il s’avère qu’ils étaient déjà très satisfaisants. L’amélioration des taux de chargement de nos camions à lot partiel (LTL, Less than Truck Load) et nos camions complets (FTL, Full Truck Load) en sucres conditionnés a été définie comme une piste d’amélioration et a fait l’objet d’une action. Ainsi, d’ici trois ans, nous voulons que 10 % de nos messageries soient réparties dans nos LTL et que et que 10 % de nos LTL soient passés en FTL.

De quels outils disposez-vous pour mesurer vos progrès ?

JMS : Cela a fait l’objet d’un projet avant ce projet Fret21. Avant de nous lancer, il nous fallait réussir à mesurer le plus précisément possible nos émissions de GES sur l’ensemble du périmètre. Nous avons la chance d’avoir au sein de la direction supply chain une équipe dédiée aux outils qui s’est notamment employée à collecter, nettoyer et exploiter de façon dynamique, mois par mois, nos principales datas - kilomètres parcourus, points d’expédition, l’ensemble des commandes. Le tout était de parvenir à les marier pour calculer de façon extrêmement fiable la quantité de CO2 que nos transports rejettent.

À l’aide de Power BI, nous avons créé un modèle de visualisation personnalisé et interactif de nos données pour calculer, à la livraison, selon le mode de transport, le type de camion et le carburant utilisé, l’ensemble des rejets de de CO2 de notre périmètre. Une fois ce travail préparatoire effectué - long d’une dizaine de mois, nous avons décidé de nous appuyer sur la solution Sightness. Grâce à cet outil de mesure et de reporting, l’immense majorité de nos flux de fret sont désormais sous pilotage.

TG : Le recours à Sightness était nécessaire pour mesurer nos avancées en matière de décarbonation du transport. La solution nous permet de comptabiliser précisément les émissions de CO2 de nos prestataires de transport. Nous sommes aujourd’hui en mesure avec cet outil d’étudier nos flux de façon incroyablement précise, par segment, par produit, par type de transport qui nous donne notamment in fine un poids moyen transporté.

En octobre 2024, pas moins de 50 % du transport de Cristalco est décarboné - © D.R.
En octobre 2024, pas moins de 50 % du transport de Cristalco est décarboné - © D.R.

Pouvez-vous nous présenter certaines de vos données ? Vous êtes-vous amélioré ?

TG : Pour vous donner un ordre d’idée, sur notre année de référence, le transport mondial de marchandises chez nous a généré 43 000 tonnes de CO2. En moyenne, 30 tonnes de marchandises sont chargées sur chacune de nos expéditions, sachant que les trains embarquent parfois 1 000 tonnes de marchandises, quand certains camions n’en embarquent que 20, voire moins puisque nous recourons au transport messagerie. Le rayon moyen de distribution était lui en moyenne à 585 km.

Nous avons rejeté bien moins de CO2 que ce que nous avions prévu si nous continuons de recourir autant au diesel. En juillet 2024, nous avons évité l’émission de 600 tonnes de CO2

Sur notre exercice fiscal en cours (de février 2024 à janvier 2025), à fin août, notre rayon moyen a augmenté d’un peu plus de 30 km. Le poids moyen de nos expéditions a également un petit peu baissé. En revanche, au sortir du renouvellement de notre plan transport en juillet 2024, en matière d’intégration de nouvelles énergies, nous nous sommes largement améliorés. Nous avons rejeté bien moins de CO2 que ce que nous avions prévu si nous continuons de recourir autant au diesel. En juillet 2024, nous avons évité l’émission de 600 tonnes de CO2.

Ainsi, avec la simple intégration d’énergies alternatives - B100, le HVO, XTL -, nous parviendrons à atteindre en quelques mois seulement l’objectif de réduction de nos émissions de GES sur le transport que nous nous sommes fixé dans le cadre de cette démarche. C’est une excellente nouvelle, d’autant plus que le poids des énergies alternatives dans notre transport continuera d’augmenter.