« L’AUTF sera attentive à l’engagement de l’État dans l’accompagnement à la transition énergétique »
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Le nouveau président de l’AUTF, Mourad Bensadik, également directeur exécutif supply chain France de Carrefour, succède aux 18 ans de présidence de Denis Choumert à la tête de l’association professionnelle des chargeurs. Sa feuille de route est tournée vers trois priorités : la compétitivité économique des chargeurs et transporteurs, la compétitivité des territoires et la transition énergétique. Interview.
Propos recueillis par Stéphanie Gallo Triouleyre
Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter la mission de président de l’AUTF dans votre emploi du temps déjà bien chargé de directeur supply chain France de Carrefour ?
La réponse est assez simple : j’ai été séduit par la raison d’être de l’AUTF, c’est-à-dire son ambition d’améliorer la performance économique et environnementale de ses mandants. Et puis, le sérieux de cette structure, l’expertise très fine des commissions techniques ont fini de me convaincre. Il faut tout de même souligner que les charges afférant à mes deux casquettes ne sont pas complètement cumulatives. Les sujets de la performance économique et environnementale sont au cœur de mes préoccupations aussi bien à l’AUTF que pour le groupe Carrefour. Ces deux missions se nourrissent l’une de l’autre finalement.
Quelques chiffres sur l’AUTF ?
L’AUTF représente plus de 170 adhérents dont une trentaine de fédérations sectorielles. Je précise, car on l’oublie souvent, que parmi les adhérents directs, plusieurs assurent une activité de transport en compte propre. Pour rappel, près d’un tiers de la flotte de véhicules de transport de marchandises est une flotte en compte propre. Nous représentons donc aussi des chargeurs qui doivent traiter, en interne, la question du transport.
Quels sont les principaux défis auxquels sont confrontés vos adhérents et pour lesquels l’AUTF peut apporter sa voix et son expertise ?
Évidemment, la question environnementale est primordiale. L’AUTF s’est emparée de ce sujet très tôt en s’impliquant dans les programmes Fret 21 et Remove, par exemple. Nous portons ce sujet activement auprès de nos chargeurs et de nos parties prenantes.
Si ces programmes ne pouvaient pas être poursuivis à l’identique, nous solliciterons des accompagnements alternatifs afin de préserver la transition des flottes vers un transport plus durable
Qu’attendez-vous du gouvernement Barnier sur ce sujet ?
Les gouvernements précédents avaient pris le parti d’accompagner la transition des transports, notamment via les deux programmes que j’ai cités précédemment, Fret 21 et Remove. Ces plans, ou leurs équivalents, sont importants, nous allons donc être extrêmement vigilants à ce qu’ils continuent d’être portés avec le même élan, malgré les nécessités budgétaires auxquels est confronté l’État aujourd’hui. Les premiers échanges que nous avons sur ce sujet nous laissent penser que des évolutions défavorables sont évoquées.
Toutefois, je ne souhaite pas prendre de position ferme immédiatement, tant que nous n’aurons pas une vision claire et holistique de l’ensemble du tableau car nous sommes aussi conscients de la nécessaire responsabilité collective. Si ces programmes ne pouvaient pas être poursuivis à l’identique, nous solliciterons des accompagnements alternatifs afin de préserver la transition des flottes vers un transport plus durable. Sinon, cela remettrait clairement en cause le verdissement du transport routier. Ou en tout cas, il ne serait pas possible d’atteindre les objectifs fixés pour les prochaines années.
Cette transition vers une flotte plus durable est impossible, selon vous, sans fonds publics ? Les chargeurs ne sont pas prêts à soutenir les transporteurs dans cette évolution ?
Selon moi, il ne faut pas appréhender ce sujet en silo mais de manière globale. Au regard des investissements colossaux qui sont nécessaires pour verdir une flotte, toutes les parties prenantes doivent maintenir leur implication et travailler ensemble. Aucune ne doit se désengager.
On entend pourtant parfois les transporteurs pointer le fait de ne pas être suivis dans leurs efforts de décarbonation par leurs clients, les chargeurs donc. Est-ce que les chargeurs assurent vraiment leur part sur ce sujet ?
Je crois qu’il ne faut pas tomber dans une opposition stérile. La solution se trouve vraiment, comme je le disais, dans une association tripartite chargeurs, transporteurs, État. Il ne s’agit pas de nous renvoyer la balle. De toute façon, la structuration même de l’AUTF, avec des chargeurs et des chargeurs transporteurs, nous engage à dépasser ce rapport de force réducteur qui ne permettra pas d’avancer.
Quels sont les chemins de décarbonation les plus prometteurs selon vous ?
Pour décarboner le fret, Il n’y a pas de formule magique : il est important d’avoir une vision systémique de l’organisation du transport, tout en appliquant une approche modale. Pour le transport routier, les pistes sont nombreuses : le gaz, l’électricité, l’hydrogène etc. Il faut tout tester, tout expérimenter en ne laissant rien de côté. Par exemple, chez Carrefour, nous explorons le biométhane d’un côté, l’hydrogène, l’électrique pour la logistique urbaine.
Le ferroviaire comme le fluvial nécessitent des temps très longs
Le rail est un vrai levier de décarbonation. Aujourd’hui, nous sommes nombreux à le tester, mais nous ne passons pas à l’échelle. Les chargeurs veulent être parties prenantes, porter ce sujet au plus haut car la massification a du sens au regard de notre réseau. Concernant le fluvial, c’est pire. Malgré notre réseau et son potentiel, on ne peut que constater que nous passons à côté de nombreuses opportunités… Il est vrai les investissements seraient très importants, cela nécessite donc un engagement fort de l’État. Dans la conjoncture actuelle et avec les difficultés de budget de la France, nous sommes conscients que de telles décisions sont difficiles à engager. Pour autant, il faut comprendre que le ferroviaire comme le fluvial nécessitent des temps très longs, l’idée n’est donc pas d’engager des décisions lourdes immédiatement, mais de ne pas nous mettre en marge non plus d’une telle opportunité.
Et sur le maritime ?
Là aussi, il y a beaucoup de choses à faire. Nous nous sommes par exemple engagés dans un projet très prometteur de transport vélique avec France Supply Chain et l’entreprise Zephyr et Borée. L’idée est de réussir à consolider des volumes auprès d’une coalition de chargeurs afin de lancer la construction de bateaux dédiés. C’est un projet au long cours.
Nous constatons chez beaucoup de chargeurs des baisses de volume et l’impact de l’inflation
En matière de fiscalité, avez-vous des inquiétudes sur ce qui pourrait arriver dans le cadre de l’équilibre budgétaire que doit retrouver la France ?
Aujourd’hui, nous constatons chez beaucoup de chargeurs des baisses de volume et l’impact de l’inflation. Donc forcément, tout ajout de coût supplémentaire viendra impacter négativement les parties prenantes et finalement le consommateur. Cela étant dit, notre responsabilité est pleine et entière, nous sommes conscients de la situation et nous sommes prêts à assumer notre part, à condition d’avoir très rapidement une copie globale des enjeux et propositions.
En termes opérationnels, vous souhaitez développer les clubs de chargeurs tels que ceux qui existent déjà dans le Nord de la France et dans l’Est. Quelles sont les ambitions ?
Nous souhaiterions avoir un club dans chacune des grandes régions. Ces clubs doivent permettre de participer à l’amélioration de la compétitivité des territoires. Ces clubs peuvent s’emparer de sujets locaux, précis, qui viennent ensuite nourrir les prises de position de l’AUTF au niveau national.