Etude Kepler : Des supply chain plus durables mais pas encore révolutionnées
Par Guillaume Trecan | Le | Consultant
Alain Bernard Duvic, responsable de la practice supply chain du cabinet Kepler, décrypte les résultats du Baromètre de la supply chain durable. Si le sujet est très largement partagé, depuis les opérationnels jusqu’aux directions générales, ce n’est pas encore au point de chambouler les business modèles.
Alain Bernard Duvic, a rejoint le cabinet de conseil achats, supply chain et opération, Kepler Consulting pour prendre la responsabilité de la practice supply chain du cabinet il y a un an et demi. Il a très rapidement lancé un Baromètre de la supply chain durable, dont la deuxième édition vient d’être présentée en partenariat avec le Master Supply chain et gestion de projets de Centrale Supélec, l’ISLI de Kedge Business School et Supply Chain Event. Ce Baromètre de la supply chain durable éclaire les zones d’ombre d’un sujet largement partagé par les entreprises. A peu près dans les mêmes proportions que l’an dernier, 85 % des personnes interrogées déclarent ainsi avoir mis en œuvre un projet de supply chain durable. Reste à savoir lequel. Mais toujours est-il que l’on peut déjà se réjouir de cette forte proportion de directeurs et responsables supply chain actifs sur ce sujet étant donné le poids de la crise sur les réponses.
Des principes en berne sous l’effet de la crise
Cette étude basée sur une centaine de réponses recueillies en ligne, augmentées de 23 entretiens - plus du double de l’an dernier - a en effet été menée de septembre à novembre 2022 et les interviews conduites par Kepler et ses partenaires étudiants du Master Supply chain et gestion de projets de Centrale Supélec et de l’ISLI (Kedge Business School), ont permis de nuancer certaines positions en retrait. « Dans le cadre des interviews, nous avons souvent entendu que, sous l’effet de la crise, certains principes passaient au second plan, en particulier lorsque les entreprises sont à la peine sur les délais ou la disponibilité des matières premières et des approvisionnements. La bonne nouvelle, c’est que les responsables supply chain ne s’en satisfont pas », philosophe Alain Bernard Duvic.
L’inflation peut d’ailleurs accentuer ces réflexions et donner des fenêtres d’opportunité pour réimplanter des activités
Si la crise freine un peu les progrès, elle peut néanmoins être considérée comme une occasion de changer les pratiques. « Cela remet un certain nombre de questions sur la table, notamment un arbitrage entre différentes sources. L’inflation peut d’ailleurs accentuer ces réflexions et donner des fenêtres d’opportunité pour réimplanter des activités », estime Alain Bernard Duvic.
Le fait est que, d’une année sur l’autre, les pratiques ont radicalement évolué. C’est le cas notamment en ce qui concerne l’articulation avec la stratégie d’entreprise des initiatives de supply chain durable. L’an dernier, la plupart des initiatives de supply chain durable étaient individuelles. Plus des deux tiers du panel (70 %) considèrent que la RSE fait partie des projets stratégiques, contre 13 % l’an dernier. Cet écart d’une année sur l’autre est particulièrement important dans la distribution. « L’industrie est dans un management beaucoup plus descendant, ce qui implique en corollaire un niveau d’engagement des équipes plus faible. Dans la distribution, il y a beaucoup d’initiatives, mais plus en local », analyse Alain-Bernard Duvic.
En ce qui concerne, la relation fournisseurs, ces enjeux de supply chain durable sont de plus en plus déterminants. Ils sont partagés dans la revue de performance dans 20 % des cas, contre 12,5 % l’an dernier et ils sont même contractualisés dans 16 % des cas contre 4,5 % l’an dernier.
Avancées réglementaires et indicateurs de mesures
Pour piloter leurs partenaires, les directions supply chain semblent d’ailleurs satisfaites des indicateurs de mesure à leur portée. Les répondants considérant disposer d’un partage des données conforme à leurs attentes sur ce thème dans leur relation avec leurs prestataires sont 45 % cette année contre 36 % l’an dernier. « La contrainte réglementaire doit certainement aider. Les entreprises qui doivent récupérer les données d’émission de leurs transporteurs, de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants sont forcément contraintes à aligner leurs systèmes d’information en conséquence », avance le responsable de la practice supply chain de Kepler.
Voila pour les bonnes nouvelles. En ce qui concerne les déceptions, force est de constater que les mesures de fond, bouleversant le fonctionnement de l’entreprise ou son business modèle sont encore rares. En ce qui concerne la réduction de leurs déchets, par exemple, la grande majorité des répondants ne citent que le levier de l’optimisation des achats (40 %) et seul un quart (26 %) des répondants déclarent ainsi s’être engagés dans l’optimisation des process de production et 13 % seulement s’inscrivent dans des démarches d’éco-conception.
Sur la catégorie d’achats prestations de transport, les progrès sont également sensibles mais contrastés. Côté distribution la pratique du report modal est répandue et produit des résultats concrets (73 %). Mais dans l’industrie, en revanche, 30 % des personnes interrogées considèrent que la solution du multimodal est inadaptée à leurs processus. Tout en reconnaissant le retard pris, par exemple, par le ferroviaire, Alain Bernard Duvic s’étonne : « j’ai du mal à croire qu’il est plus difficile de pratiquer le report modal dans l’industrie et d’aller en train d’une usine vers un entrepôt que d’un port vers un entrepôt. »
En matière de circularité une grande marge de progrès est également exploitable en développant la dimension collaborative et réseau. Ainsi, seul 8 % du panel s’appuie sur des réseaux de récupération ; 5 % travaillent sur la réparabilité et 5 % sur la maintenance. Encore une fois, l’acte d’achat reste le principal levier : 17 % des personnes interrogées travaillent sur l’intégration de matériaux recyclés et 15 % sur l’intégration de matériaux recyclables.
Comprendre la complexité de la circularité implique de repenser les modèles opérationnels, les modèles économiques
Pour Alain-Bernard Duvic, la véritable révolution de la supply chain durbale est loin d’avoir eu lieu. « Comprendre la complexité de la circularité implique de repenser les modèles opérationnels, les modèles économiques. Seuls 6 % des répondants intègrent la réduction de l’empreinte environnementale dans la définition de leurs schémas directeurs. On est loin d’un arbitrage coût, qualité, CO2. Il faut repenser les modèles opérationnels, en prenant la question par le petit bout des optimisations, on ne fera pas vraiment de la circularité », prévient le consultant.
Aux yeux d’Alain Bernard Duvic, une question enfonce le clou sur ce point. Interrogés sur l’intégration ou non d’une reverse logistic dans leur offre commerciale, les trois quarts des personnes interrogées répondent par la négative (72 %).
Une enquête encore en cours
Cet Observatoire annonce les prémices d’un outil de mesure de maturité de la durabilité des supply chain, avec des déclinaisons sur les secteurs Défense, pharmacie, grande consommation, distribution et biens d’équipement. Afin d’étoffer sa base de répondants, l’Observatoire de la supply chain durable reste en ligne jusqu’au 1er décembre.
Pour apporter sa voix au Baromètre Supply Chain durable de Kepler, c’est ici