Association des chargeurs : « Nous sommes capables de changer des paradigmes de marché »
Par Guillaume Trecan | Le | Green
Géraud Pellat de Villedon, responsable RSE pour la supply chain de Michelin et pilier de l’Association des chargeurs pour le transport maritime à la voile, annonce le lancement de nouveaux appels d’offres pour des lignes vers l’Asie ou encore l’Amérique du Sud. Il fait le point sur l’état d’avancement du premier appel d’offres attribué à Zéphyr & Borée pour la ligne Europe Amérique du Nord.
Après l’attribution d’un premier appel d’offres pour du transport à la voile entre l’Europe et l’Amérique du Nord en juillet dernier, le Collectif des chargeurs a lancé une nouvelle initiative sur d’autres routes. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?
Les temps de construction de ce type de projets étant très longs, nous avons décidé de lancer d’autres appels d’offres pour une ligne au départ de la Baltique vers l’Amérique du Nord, une au départ de l’Asie vers la Méditerranée et une ligne entre l’Europe du Nord et l’Amérique du Sud. Nous suivons le même principe que pour nos premiers appels d’offres, nous partons des besoins exprimés par les chargeurs. Nous devons maintenant nous assurer de connecter ces besoins et que nos volumes seront suffisants.
Si des besoins se manifestent pour ouvrir une autre ligne, nous pouvons intégrer cette réflexion. A l’inverse, si les volumes des chargeurs ne sont pas suffisants, nous n’irons peut-être pas au bout. Nous conduirons cette phase d’audit des besoins jusqu’à la fin de l’année. Nous avons fait un premier webinaire la semaine dernière et nous en faisons un nouveau mercredi 19 octobre en anglais pour aller chercher des volumes supplémentaires.
Sur la ligne Europe Amérique du Nord, le délai supplémentaire moyen sera de deux à trois jours. Sur la route Asie, les leadtime seront en effet plus élevés
Les différentiels de temps de trajet vers l’Asie risquent d’être plus défavorables que sur la route Europe Amérique du Nord…
Sur la ligne Europe Amérique du Nord, le délai supplémentaire moyen sera de deux à trois jours. Sur la route Asie, les leadtime seront en effet plus élevés. Nous devons donc être attractifs sur le prix et les gains de CO2. D’autant plus que nous sommes face à des compagnies maritimes qui fonctionnent avec des navires gigantesques qui ont un bilan carbone assez bon. De ce fait, nous avons plutôt intérêt à nous orienter vers un bateau de 2 000 TU. Sur la route Amérique du Sud, nous aurons besoin d’un bateau plus petit.
Où en est l’autre projet de route Europe Amérique du Nord confié à Zéphyr & Borée ?
Nous en sommes actuellement au stade de la finalisation de l’offre de Zéphyr & Borée, notamment en ce qui concerne les escales, ou encore les reefers. Notre enjeu majeur maintenant est de finaliser le remplissage des bateaux. Nous n’avons pas encore aujourd’hui un taux de remplissage suffisant. Sur la route nord - Anvers, Le Havre vers New York, Charleston - nous pourrions remplir un navire de 600 TU, mais nous voulons tendre vers des navires de 1 000 TU qui nous permettent d’aller chercher des économies plus importantes, de l’ordre de 30 %. Sur la route Sud - Gênes, Fos, Valence vers New York - nous sommes aux alentours de 40 % de taux de remplissage.
Il s’agit pour les chargeurs de s’engager sur dix ans sur des volumes fixes, avec un mode de transport nouveau
Nous sommes actuellement vingt chargeurs dans le collectif. De nouveaux ont rejoint notre initiative, d’autres sont partis. Nous cherchons à ce que de très gros chargeurs nous rejoignent ou d’importants freight forwarders capables de s’engager sur le long terme. Cette recherche de volumes complémentaires n’est pas simple car il s’agit pour les chargeurs de s’engager sur dix ans sur des volumes fixes, avec un mode de transport nouveau sur lequel plane un certain nombre d’incertitudes et dont le prix sera probablement plus élevé que le prix marché, ce qui est cohérent : une offre décarbonée est un premium.
La conjoncture actuelle n’est-elle pas moins favorable qu’en 2021, lorsque les taux de fret étaient au plus haut ?
C’est vrai que nous avons bénéficié d’une fenêtre très favorable pour notre premier appel d’offres. Nous avons toujours conseillé aux chargeurs de considérer que les prix dévisseraient de moitié par rapport à ce qu’ils étaient en 2021. Personne ne peut prédire l’avenir, mais ce qui s’est passé ces trois dernières années a conforté ce genre de projets offrant une capacité fixe et un prix fixe. Le fait que les tarifs baissent ne change pas grand-chose à l’intérêt de notre démarche. Nous nous sommes tous projetés par rapport à ce que pourraient être les prix en 2035. Certes, entre-temps, d’importantes capacités vont arriver sur les mers, mais les transporteurs n’ont pas intérêt à se lancer dans une guerre des prix.
La crise ne freine-t-elle pas aussi la capacité des chargeurs à s’engager sur des volumes ?
Les entreprises qui s’engagent dans l’aventure Zéphyr & Borée ont, ou bien des activités bien établies aux Etats-Unis qui seront évidemment encore là dans dix ans, ou bien des activités non délocalisables. Pour ceux pour qui la projection est plus difficile, nous avons prévu des mécanismes de sortie.
La décarbonation est une décision d’entreprise gérée au plus haut niveau
Quel enseignement tirez-vous du premier appel d’offres ?
J’en tire la leçon que les temps de cycle de ces projets sont tellement longs que prendre son temps n’est pas pertinent. Je constate également que la décarbonation est une décision d’entreprise gérée au plus haut niveau. Ceux qui sont tièdes et ne s’engagent que par opportunisme finissent par quitter l’aventure. Il est d’autant plus difficile pour des responsables transport de rejoindre la démarche en cours de route en s’efforçant de recueillir un maximum d’informations destinées à rassurer leur management, que cela devrait être, à l’inverse, le management qui les pousse.
L’autre enseignement que j’en retire, c’est que ces projets ne peuvent voir le jour qu’avec de la collaboration. C’est un sujet difficile mais très enthousiasmant. Nous avons réussi à réunir une vingtaine de chargeurs autour d’un objectif commun. Savoir que c’est faisable nous apporte la démonstration que nous sommes capables de changer des paradigmes de marchés en mettant nos intérêts individuels de côté et en travaillant ensemble.