Club Supply Chain : La robotisation, au service de sa majesté ?
Par Mehdi Arhab | Le | Industrie
Le quatrième Club Supply Chain de l’année a vu une vingtaine de directeurs et directrices supply chain débattre de la question de la robotisation des entrepôts. Et comme toujours, les débats ont été très animés, les avis eux, sont partagés.
Les professionnels de la logistique doivent désormais opérer avec l’essor du e-commerce et s’adapter à la notion d’omnicanalité pour gagner en performance afin de répondre au mieux aux nouvelles exigences des consommateurs, professionnels ou particuliers. Tout cela se traduit dans les entrepôts, qui se veulent toujours plus fonctionnels, pour faire face comme il se doit à de possibles pics d’activité et à l’augmentation sans précédent des préparations de commandes de détail, synonymes d’opérations chronophages, qui nécessitent ressources, manipulations et déplacements.
Pour mieux organiser et absorber ces flux et répondre à la demande, les logisticiens doivent gagner en efficacité et en productivité. Au-delà de l’arbitrage des ressources comme variable d’ajustement, l’automatisation, en particulier la robotique goods to man, apparaît comme une des clés dans la course à la productivité pour le secteur de la logistique. Celle-ci devant bien entendu ne faire aucune compromission à la sécurité et au bien-être des opérateurs. Et avec de meilleures conditions de travail au sein de l’entrepôt, sans manipulation, ni déplacements répétitifs, le turn-over et l’absentéisme s’atténueraient, la productivité augmenterait.
Un bienfait … à nuancer
Reste tout de même à savoir si l’automatisation et la robotisation permettent réellement de réduire la pénibilité au travail ? Depuis de nombreuses années désormais, certains défendent que, face à des demandes de plus en plus complexes à gérer, la robotisation s’impose comme une réponse évidente aux contraintes des logisticiens. Elle permettrait en effet de franchir de nouveaux degrés d’exigence. « Est-elle un bienfait pour les salariés ? La réponse est oui », confirme le premier convive de la soirée. Il explique tenir cette réponse des enquêtes qui sont menées auprès des collaborateurs opérant dans les entrepôts de son entreprise, permettant ainsi de recueillir leur ressenti. « Nous nous apercevons que le niveau de satisfaction des collaborateurs sur les sites mécanisés est bien supérieur à ceux travaillant sur des sites manuels. Nous avons en moyenne 7 % de turn over sur nos projets de mécanisation, un taux faible. Nous avons réussi à amener nos collaborateurs dans ce type de projet », assure-t-il.
Avant la mécanisation sur l’un de nos sites de 72 000 m2, sur lequel nous gérions 120 millions d’articles sur une année, nous comptions entre 150 et 200 collaborateurs. Après la mécanisation, nous en avons toujours 150 et 200, mais nous gérons 320 millions d’articles à l’année
Mais chaque nouveau robot introduit pourrait en fin de compte entraîner une diminution de postes disponibles ainsi qu’une baisse des salaires. Avec l’automatisation, le risque est également de renforcer l’inégalité salariale chez les travailleurs peu ou moyennement qualifiés. Un avis qui n’est pas vraiment partagé par les convives. « Avant la mécanisation sur l’un de nos sites de 72 000 m2, sur lequel nous gérions 120 millions d’articles sur une année, nous comptions entre 150 et 200 collaborateurs. Après la mécanisation, nous en avons toujours 150 et 200, mais nous gérons 320 millions d’articles à l’année. Il faut impliquer très fortement les collaborateurs dès le départ dans ces projets de transformation », affirme l’un d’eux. Dès lors, avec le même nombre de salariés et l’ajout de robot, le site a bénéficié d’une croissance soutenue, d’une efficacité accrue et d’une rapidité de traitement largement optimisée.
En plus donc d’avoir améliorer la productivité, ce dernier assure que la mécanisation a significativement amélioré le bien-être des salariés. « De mon expérience, la demande des salariés en entrepôts est de travailler dans un environnement plus fluide », acquiesce un autre. « C’est un enjeu d’entreprise et la question est de savoir quelle vision apporte-t-on pour les personnes qui vont perdre leur emploi ? Les enjeux sociaux sont importants, plus il y aura de robotisation, moins il y aura d’Homme », tempère un autre, qui rappelle ainsi la monotonie de la tâche et l’isolement de l’opérateur face au robot. « S’il y a des exemples de valorisation des métiers de la logistique, certains ont été sacrifiés », poursuit-il.
Un enjeu RH énorme
Un changement de paradigme qui n’est donc pas sans conséquence et qui oblige à transformer les compétences. « À l’instar de la digitalisation, la partie conduite du changement et l’état d’esprit ne sont pas à négliger. L’obstacle, c’est l’humain face au changement », commente Gabriel Hajjar, supply chain sales manager d’Oracle (sponsor de la soirée). Pour ne pas perdre en autonomie et en esprit d’initiative, les opérateurs doivent donc gagner en agilité, monter en compétence et développer leurs capacités à interagir avec les robots et à assurer une production sans défaut pour garantir la coordination entre les acteurs de la chaîne d’approvisionnement. « L’enjeu, en réduisant le nombre d’opérateurs, n’est pas de chercher des ressources ailleurs, mais de reconvertir nos collaborateurs, en investissant sur la formation pour ceux qui ont l’envie et l’appétence », explique l’un des convives.
Sans la robotisation, certaines entreprises n’auraient pas pu croître autant qu’elles ne l’ont fait
Si la robotisation croissante reste une menace pour les emplois nécessitant une main-d’œuvre peu qualifiée donc, ce qui laisserait de nombreux travailleurs sur le carreau, elle est également susceptible d’apporter une solution au vieillissement croissant de la population active. Les robots, en s’imposant dans des secteurs de plus en plus diversifiés, peuvent en outre contribuer à laisser les équipes se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. « Sans la robotisation, certaines entreprises n’auraient pas pu croître autant qu’elles ne l’ont fait », rappelle toutefois l’un des convives.
Au demeurant, malgré des progrès technologiques de plus en plus importants, les entreprises doivent tout de même composer avec des obstacles, parfois difficiles à surmonter, notamment pour ce qui est de la variété des volumes. Une donnée qui commence peu à peu à être appréhendée par de grands groupes pour des produits « hors standards ». Toutefois certains produits ne sont pas à portée de mécanisation et resteront traités par des humains.
De la robotisation des flux physique à la robotisation des datas
Encore une fois, la question de l’exploitation de la donnée est intervenue au cours des débats. Selon nombre de convives, la robotisation permettrait d’avoir une traçabilité complète des articles. Une valeur ajoutée inespérée. Ces investissements dans la robotisation déchargent les collaborateurs de faire remonter de la donnée, puisque celle-ci l’est automatiquement. Mais pour l’un des présent, « la robotisation consomme bien plus de data qu’elle n’en met à disposition, même si elle en génère d’excellentes ».