Forvia : « Nous avons besoin d’une supply chain plus verte et plus durable, c’est irréversible »
Par Guillaume Trecan | Le | Industrie
Le directeur supply chain de l’équipementier automobile Forvia, Houssam Hage détaille les quatre angles de sa feuille de route : service, coûts, stocks et CO2. Un sujet qu’il estime en particulièrement structurant pour l’avenir de la supply chain, tout comme les gains d’efficacité que pourrait offrir la transformation digitale.
Qu’est-ce que l’organisation supply chain apporte comme performance essentielle au groupe ?
La stratégie de la supply chain de Forvia repose sur un carré service, coût, stock et CO2. Dans notre industrie, le niveau d’exigence est très haut sur chacun des angles du carré. En plus, l’électrification des véhicules induit une pression sur les coûts, compte tenu de son prix inabordable pour un grand nombre. L’électrification implique également beaucoup d’investissements, donc une forte mobilisation du cash et par conséquent un effort sur la gestion des stocks. Notre mission consiste donc à servir le client, avec les coûts et les niveaux de stocks les plus bas. S’agissant du CO2, le groupe a pris des engagements clairs de réduire de 45 % l’empreinte de son scope 3 à l’horizon 2030. Notre Supply Chain a aussi une contribution majeure sur ce sujet.
Quel est le périmètre de responsabilité de la direction supply chain de Forvia ?
Les équipes Supply chain sont réparties sur les 250 usines du groupe et dans quelques hubs où se trouvent les fonctions centrales en particulier deux hubs Procurement & Transportation où nous avons centralisé l’ensemble des affrètements et de l’approvisionnement, l’un en Europe et l’autre en Amérique du Nord.
Mon rôle au niveau groupe, consiste à la fois à définir la stratégie de la supply chain, une vision pour demain et à piloter quelques sujets régaliens
Dans chaque usine un responsable supply chain gère les flux amont, aval et la planification. Au niveau division, un responsable supply chain pilote la performance de ces usines. On retrouve ensuite, au niveau Business Group, une organisation mondiale qui traite de la performance de l’ensemble des divisions. Mon rôle au niveau groupe, consiste à la fois à définir la stratégie de la supply chain, une vision pour demain et à piloter quelques sujets régaliens, tels que la centralisation des équipes Procurement & Transportation ou encore le lancement de notre Supply Chain Academy et notre S&OP.
Qu’est-ce qui fait la complexité de cette supply chain ?
La complexité de la supply chain de Forvia n’est pas liée au nombre de camions ou de lignes mais plutôt au fait que nous gérons cette supply chain de A à Z. Nous sommes en charge de l’amont à partir de nos fournisseurs, de la planification de nos usines mais aussi, en aval, de la relation commerciale avec nos clients. Nous travaillons sur la demande, à la fois sur le court terme, en observant les variations de la demande, mais aussi sur le long terme, à travers un travail avec le Marketing pour anticiper les besoins.
Nous avons lancé un projet qui consiste à centraliser le pilotage de transport en deux points en Europe et en Amérique du Nord
Quels sont vos leviers pour améliorer les coûts de la supply chain ?
Le premier, le transport, représente plus de la moitié des coûts de la supply chain. Nous avons donc lancé un projet qui consiste à centraliser le pilotage de transport en deux points en Europe et en Amérique du Nord, mais aussi à revoir tout le Network Design, la manière dont est organisé notre réseau de transport. C’est un plan sur deux ans que nous exécutons depuis un an et dont nous avons mis en place la moitié des gains identifiés. La seconde initiative porte sur le déploiement d’une dizaine de bonnes pratiques destinées à améliorer notre niveau de productivité. Dans n’importe quelle organisation, lorsque l’on creuse, on trouve du gaspillage et nous appliquons cette démarche de lean management pour baisser les coûts de fonctionnement de nos entrepôts.
Est-ce que vous vous appuyez sur l’IA pour trouver de nouvelles pistes d’optimisation ?
Sur ces éléments, ce n’est pas nécessaire parce qu’ils font plus appel à des basiques du lean management. L’intelligence artificielle peut, en revanche, nous être utile pour la baisse des stocks, dans le cadre de notre travail sur le S&OP et le demand planning. L’IA joue un rôle pour choisir les bons modèles statistiques et de Forecasting, afin de challenger la demande.
Notre initiative sur le S&OP consiste à mettre en place une véritable fonction Demand Planning utilisant les moyens de l’intelligence artificielle
Quels sont les autres sujets inscrits sur votre feuille de route digitale ?
La supply chain est un grand consommateur de systèmes d’information. Nous ne gérons pas que des flux, mais aussi des données en temps réel. Notre initiative sur le S&OP consiste à mettre en place une véritable fonction Demand Planning utilisant les moyens de l’intelligence artificielle. Cette initiative comprend un volet organisationnel avec la définition des rôles et responsabilités, un volet processus et un volet outil, avec le déploiement en cours de SAP IBP. Dans le cadre de notre initiative d’optimisation du réseau de transport, nous déployons également le TMS de SAP. Nous avons aussi développé avec la société Ortec un outil d’optimisation de nos chargements. Enfin j’inclus dans cette feuille de route digitale nos projets d’automatisation. Nous avons un parc d’AGV important et nous développons aussi des initiatives d’automatisation au niveau de la réception et des expéditions.
Comment allez-vous agir sur la réduction de l’empreinte carbone de vos prestataires de transport ?
La bonne nouvelle, c’est que les fournisseurs ont eux aussi des objectifs de réduction de leur empreinte sur leur scope 1 et 2. La pression mise sur l’écosystème par la réglementation nous est favorable. Nous allons ensuite procéder en deux étapes, en commençant par des initiatives de frugalité qui permettent à la fois de réduire le CO2 et les coûts - réduction du nombre de kilomètres et amélioration du taux de remplissage des camions - puis en passant à des choses un peu plus sophistiquées, comme l’adoption de nouvelles motorisations telles que l’hydrogène et l’électrique. Nous échangeons régulièrement avec nos prestataires sur l’évolution de leur parc et sur des projets communs. Nous sommes en train de préparer cette deuxième phase dont les grandes lignes seront présentées en juin.
Comment se répartit l’empreinte carbone sur vos transports ?
Plus des deux tiers se situent sur l’inbound. Les flux maritimes et aériens sont très limités. L’essentiel de notre transport passe par la route car nos activités sont très continentales.
Nous ne sommes par de grands consommateurs des flux intercontinentaux et des sourcing lointains
En ce qui concerne l’importance que vous accordez aux forecast, les risques de rupture et les difficultés d’approvisionnement, qui ont été très fortes ces dernières années, jouent-ils un rôle ?
Nous avons traversé une phase très difficile liée au manque de capacité. Une certaine normalisation sur ce sujet l’a rendue moins prioritaire. Ces crises d’approvisionnement impliquent plutôt une réflexion sur l’empreinte territoriale de la supply chain, des lieux de sourcing et des problématiques de dépendance. Mais Forvia est un peu moins exposé à ces problèmes parce que notre empreinte est relativement locale, nous ne sommes par de grands consommateurs des flux intercontinentaux et des sourcing lointains.
Quels sont les autres domaines d’investissement dans la supply chain ?
En plus de baisser les coûts, l’empreinte CO2 et les stocks, nous devons à nos clients un service quasi parfait. Un tel niveau d’exigence, ne fait pas seulement appel à des processus de contrôle automatisé, mais aussi à des gens extrêmement motivés et bien formés. C’est pourquoi nous avons entrepris de lancer une Supply Chain Academy, afin de travailler à la fois sur les compétences supply chain des équipes et sur la market intelligence ou encore les enjeux de la digitalisation afin d’ouvrir l’esprit des collaborateurs de la supply chain. Un premier niveau destiné à l’ensemble des équipes reprend les basiques de la supply chain, un deuxième niveau permet d’entrer dans le détail et de travailler sur des cas réels ; un troisième niveau, destiné aux équipes de direction permet d’ouvrir d’autres horizons et de découvrir d’autres pratiques que ceux offerts par la supply chain de Forvia. Nous avons beaucoup à apprendre de nos pairs sur des sujets tels que l’automatisation, ou encore l’intelligence artificielle.
Nous avons commencé l’interview avec le sujet de la transition vers les véhicules électriques. Pensez-vous que ce sera un facteur qui influencera de manière importante la supply chain à l’avenir ?
L’électrification des véhicules constitue un changement majeur au niveau des produits que nous fabriquons et que nous vendons. Mais il me semble que l’évolution majeure pour la supply chain concerne plus le CO2. Nous nous sommes engagés à réduire notre empreinte CO2 sur le scope 3 de 45 % en 2030. Nous avons besoin d’une supply chain plus verte et plus durable, c’est irréversible. L’autre tendance qui me semble fondamentale, c’est la transformation digitale et notamment l’intelligence artificielle. La capacité qu’ont ces machines à traiter un nombre d’informations très important fait que beaucoup de choses auparavant très difficiles, deviennent faciles, en particulier dans le domaine du prédictif.