Plastique recyclé et récolte de la data au cœur de la Smart Green Pallet d’Auchan et IBM
Par Mehdi Arhab | Le | It
En ouverture du Impact Paris Summit, Auchan et IBM ont présenté leur concept de Smart Green Pallet. Une innovation remarquable, écoresponsable et intelligente, qui sera éprouvée dès le début d’année prochaine et qui offre des perspectives franchement intéressantes.
Lorsque l’occasion de capter des innovations de choix se présente, Auchan n’est jamais très loin. Force est de constater que le géant de la grande distribution possède un certain talent en la matière. Approché par IBM il y a quelques années, Auchan a longuement planché sur un concept de palette durable et « intelligente », baptisée Green Smart Pallet. Un produit de manutention en plastique recyclé, recyclable et réutilisable provenant de sources domestiques ou industrielles, deux fois moins lourd qu’une palette classique et à la durée de vie décuplée. Dans un moment où les matières et ressources manquent, il faut bien avouer que la chose, bien que déjà existante, est notable. Et s’il se caractérise par une certaine forme d’intelligence, c’est parce qu’il embarque des capteurs qui viennent récolter sur l’ensemble de la ligne du temps logistique (et surtout sur la phase d’expédition) des données précieuses sur la localisation des contenants et sur la qualité des produits transportés, aussi bien en matière des températures dirigées que des chocs encaissés.
Ce projet, pensé « pour changer la donne », dixit Franck Descamps, directeur logistique d’Auchan Retail France, a mobilisé, sous l’impulsion du mastodonte de l’informatique, les métiers de la plasturgie et des composites, des acteurs de l’industrie agroalimentaire, dont Nestlé ; des transporteurs, Stef et STG ; et des distributeurs, Auchan donc, mais aussi Carrefour et Picard, qui n’a au demeurant pas donné de suite au projet pour le moment, pour des questions de coûts notamment. Des concurrents donc, mais dont les problématiques s’accordent. La phase d’écoconception, longue de trois mois, a été l’occasion de peaufiner la définition des besoins, de poser les bénéfices de l’innovation et son juste prix. Les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires ainsi que l’Ademe, placée sous la tutelle de la deuxième division administrative citée, ont également été impliqués dans ce projet d’envergure, apportant notamment des subventions.
« Ils financent une partie du projet, pour autant, leur rôle ne s’arrête pas à ce seul aspect. Ils interviennent sur de nombreux autres, en premier lieu la régulation des prix, du plastique notamment, sur la réglementation de la chaîne du froid également », pointe Marc Galant, Innovation maker et Leader de l’offre Smart Green Pallet & Supply Chain Green Innovation chez IBM Consulting. L’université d’Aix-Marseille a par ailleurs été sollicitée et intervient avec le Cret-Log, son laboratoire universitaire de recherche en sciences de gestion, spécialisé en logistique et supply chain management. « Des chercheurs, des étudiants et de nombreux apprentis ont travaillé à nos côtés », complète Marc Galant.
Logistique, data et transition écologique
Le marketing du moche n’est en rien un problème. En revanche, parler de durabilité relève de l’essentiel
Cette technologie associe IoT (Internet of Things), l’analyse des données afin d’améliorer le suivi des flux et l’utilisation de contenants recyclés, recyclables et réutilisables. « La palette en plastique recyclé existait, mais n’était pas utilisée en raison de son prix trop élevé », retrace Marc Galant. Son apparence, somme toute différente d’une palette neuve, a de quoi rebuter. Mais est-ce si important en logistique ? Bien sûr que non. L’important n’est pas là pour le directeur logistique d’Auchan Retail France. « Le marketing du moche n’est en rien un problème. En revanche, parler de durabilité relève de l’essentiel ». IBM, qui a de son côté concentré ses efforts dans la conception de nouveaux capteurs, a attaché une importance particulière au choix de la matière qui les forme. Eux aussi, dont la durée de vie est estimée à six ans, ont été façonnés en plastique recyclé et sont, par-dessus-tout, réparables. « La majorité des capteurs sur le marché sont jetables. Il est très rare qu’ils soient réparables », assure Marc Galant.
Les données sont concentrées sur une plateforme qui les exploite et les combine avec des données business
Outre son intérêt environnemental, indiscutable bien entendu, la Green Smart Pallet a été imaginée pour faire gagner chargeurs, transporteurs et distributeurs en visibilité. Si elle n’est pas réparable, elle est évidemment recyclable et peut-être utilisée pendant dix ans. « La chaîne logistique est représentée par un ensemble d’acteurs associés, liés les uns avec les autres, mais totalement indépendants. Il était donc très important de renforcer leur cohésion et c’est ici que la data entre en jeu. Cette palette est en mesure de nous aider à matérialiser la qualité de bout en bout et d’avoir entre les mains une supply chain plus performante, résiliente et durable », explique Franck Descamp. La transparence qu’apporte la Green Smart Pallet sur l’ensemble de la chaîne logistique constitue au demeurant sa valeur ajoutée. Un code GS1 unique, utilisable par toute la chaîne, est greffé à la palette. Une grande première. « Cela favorise le process d’utilisation et renforce la traçabilité » se réjouit Marc Galant.
Les informations recueillies le sont en temps réel et remontent aux informations métiers. « Les données sont concentrées sur une plateforme qui les exploite et les combine avec des données business », précise Marc Galant. En cas d’anomalie ou d’accroc, des alertes sont générées afin que les métiers puissent agir rapidement en conséquence et de bloquer, pour défaut de qualité, les produits abîmés. « L’objectif est de fluidifier les process et d’arrêter le transport lorsque l’on constate de la non-qualité et de favoriser le contrôle à travers le suivi des températures pour les matières et produits transportés », expose Marc Galant. Le traitement des litiges est de fait simplifié.
La data au service de la durabilité
Cette innovation doit servir dans le temps et à tous les acteurs de l’écosystème. C’est une occasion rêvée de coopérer et collaborer
Reste désormais à standardiser cette technologie de premier plan et la faire passer à l’échelle pour limiter les (sur)coûts. La phase d’expérimentation, qui démarrera en 2024, sera décisive à plus d’un titre. La Logistique a ceci d’intéressant qu’elle offre un effet de masse certain, d’autant plus dans le Retail. « Il est impératif qu’une innovation de ce type ait un prix équivalent à un produit classique. Les challenges à relever sont immenses », remarque Marc Galant. « Cette innovation doit servir dans le temps et à tous les acteurs de l’écosystème. C’est une occasion rêvée de coopérer et collaborer », insiste de son côté Franck Descamps. Chargeurs concurrents, transporteurs rivaux et distributeurs doivent donc se réunir pour en faire une réalité tangible.
L’initiative, qui s’inscrit dans une démarche globale de développement durable en suivant les principes des « 6R » - Réduire, Réutiliser, Réparer, Recycler, Revaloriser, Résilience - vise également à réduire le taux de gaspillage alimentaire. Dans un rapport sur la situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2019, publié par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), il était indiqué que 14 % des produits ne parviennent jamais au client final. Un chiffre colossal et une part qui représente tout de même 8 % des émissions de gaz à effet de serre.