Pour réduire ses émissions, Heppner doit convaincre ses sous-traitants
Par Guillaume Trecan | Le | Logisticien
Si le groupe familial de transport affiche l’objectif d’une réduction de 30 % de ses émissions de CO2 dans les trois ans, il doit avant tout convaincre ses sous-traitants qui prennent en charge 60 % de ses tournées. Pressé, notamment par la réglementation française, le groupe ne peut pas pour autant compter sur ses clients pour en payer le coût.
Sur un total de 454 650 tonnes de CO2 consommées par an par le groupe Heppner, mesurées avec le référentiel Science Based Targets Initiative (SBTi), les scope 1 et 2 ne représentent que 11 950 tonnes, soit 2,6 % du total. Autant dire que la réussite des engagements du groupe repose en grande partie sur sa capacité à impliquer son écosystème fournisseurs (scope 3), en particulier ses sous-traitants transport. La sous-traitance transport terrestre d’Heppner génère ainsi 322 000 tonnes de CO2 par an, la sous-traitance aérienne 69 400 tonnes et la sous-traitance maritime 322 000 tonnes.
Cela n’empêche pas le groupe d’être ambitieux. Heppner annonce viser ainsi une réduction de 30 % de ses émissions d’ici à 2030 et de 60 % d’ici à 2040. Au regard de ces chiffres, les 1 700 tonnes de CO2 évitées par le groupe en 2021 donnent ainsi la mesure du défi.
270 véhicules en propre et 800 détenus par des sous-traitants
Le groupe, qui a enregistré en 2021 un chiffre d’affaires de 853 millions d’euros n’hésite pas à investir 15 millions d’euros dans la conversion de 50 % de sa flotte au GNV d’ici à 2025, contre 38 % aujourd’hui. Cet engagement porte sur ses 270 véhicules détenus en propre, sachant que 60 % des tournées sont sous-traitées et qu’environ 800 camions détenues par des tiers roulent pour le groupe chaque année, hors affrètement. Aujourd’hui seuls 4,5 % des 800 tournées quotidiennes du groupe sont effectuées avec des motorisations à faible émission.
Le volet sensibilisation et accompagnement des sous-traitants du programme Drive Green engagé par Heppner est donc essentiel. Heppner a ainsi négocié pour eux des tarifs pour l’achat de véhicule et de gaz, mais aussi des conditions préférentielles auprès de partenaires bancaires pour leur donner accès à des financements. Le groupe s’engage aussi à travailler pendant cinq ans en priorité avec ceux qui font l’acquisition de véhicules faibles émissions.
Nous rémunérons mieux ceux qui font le choix de véhicules à faibles émission
« Le principal frein pour nos sous-traitants tient au financement, confirme la directrice de la transition énergétique, Noémie Feldbauer. Nous rémunérons donc mieux ceux qui font le choix de véhicules à faibles émission. » En pratique ces sous-traitants vertueux en matière d’émission voient donc le prix de leurs tournées augmenter de 8 à 10 % par rapport aux tarifs moyens.
Des tests sur l’électrique et les biocarburants
Si le GNV est la première option retenue par le groupe pour initier au plus vite l’après diesel, Heppner n’entend pas mettre tous ses œufs dans le même panier. « Dès le début nous avons fait le choix d’un mix énergétique. Nous laissons une place pour l’électrique, l’hydrogène, les biocarburants… Et nous avons déjà des tests en cours sur ces carburant alternatifs », annonce la directrice de la transition énergétique. A Lille, Heppner teste actuellement du XTL, un biocarburant issu de graisses animales et d’huiles de cuisson usagées, qui ne bénéficie pas de la vignette Crit’air mais qui permet tout de même de réduire les émissions CO2 de 90 % par rapport au diesel. « Ce test est très probant et va certainement être étendu à d’autres agences », affirme Noémie Feldbauer.
Electrifier nos infrastructures est un peu plus compliqué que poser une cuve d’XTL sur un parking
En s’appuyant sur un partenariat avec Volta Truck, le logisticien va également réaliser un test cet hiver avec un véhicule de 16 tonnes sur sont site de La Courneuve. « Mais électrifier nos infrastructures est un peu plus compliqué que poser une cuve d’XTL sur un parking », prévient la directrice de la transition énergétique.
En ce qui concerne l’hydrogène, Heppner se heurte à une question d’économie d’échelle qui ramène le groupe à la dure réalité de moyens à mettre en œuvre et de sa place sur le marché. « Nos véhicules ne roulent pas suffisamment pour que nous puissions avoir une rentabilité sur ce type de véhicules aujourd’hui », reconnait Noémie Feldbauer, qui s’affirme toutefois « convaincue qu’il est important de nouer aujourd’hui des partenariats avec des startups qui se lancent dans l’hydrogène pour pouvoir être prêts en 2024 ».
Un problème de taille critique pour l’hydrogène
La question des moyens à mettre en œuvre se pose également avec acuité pour les activités de commissionnaire de transports d’Heppner. Le groupe étudie actuellement des pistes pour développer l’intermodalité pour approvisionner les sites d’un de ses clients au départ de deux de ses usines avec une solution rail route en Bretagne. Heppner construit aussi pour son principal client sur l’overseas, une offre SAF (Sustainable Aviation Fuel). Mais sa taille modeste limite ces actions. « Nous n’avons pas aujourd’hui un pouvoir de négociation suffisant pour imposer que notre marchandise soit mise sur un porte-container au gaz ou sur un SAF », reconnait Noémie Feldbauer.
Valoriser notre démarche auprès de nos clients, oui. La monétiser, c’est tout autre chose
Pour Heppner, la charge de ces démarches est d’autant plus lourde à assumer que ses clients son encore rarement prêts à en assumer le surcoût. « Valoriser notre démarche auprès de nos clients, oui. La monétiser, c’est tout autre chose », reconnait le directeur des opérations transport terrestre d’Heppner, Cédric Frachet. Non seulement il est difficile pour le groupe de commercialiser des solutions vertes en tant que telle, puisqu’il n’est pas encore en capacité de packager des offres 100 % verte, mais surtout : « peu de gens sont prêts à accepter un surcoût pour ces solutions », constate Cédric Frachet.
Pas valorisée, mais pourtant indispensable, c’est toute l’ambiguité de la transition énergétique pour le logisticien. « Plus qu’un avantage compétitif, c’est un élément discriminant pour beaucoup de sociétés avec lesquelles nous travaillons. Nos clients nous évaluent via des sociétés externes sur la sincérité des engagements que nous annonçons, notamment avec le CDP », indique le directeur des opérations transport terrestre. (Lire au sujet du Carbon Disclosure Project notre article dans Républik HA Le Média)
Un sujet moins prégnant en Europe du Nord
Le sujet de la RSE reste aussi très franco-français. « La notion d’urgence climatique, les régulations et les contraintes différent dans chacun des pays européens. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, nos clients d’Europe du Nord sont moins sensibilisés », relève Cédric Frachet qui rappelle ainsi que la mesure du CO2 est encore une démarche neuve en Allemagne.
Heppner a d’ailleurs sondé ses clients sur leurs attentes. « Il y a des différences extrêmement marquées entre des clients français qui sont intéressés et demandeurs, des clients allemands, en demande d’information mais pas vraiment demandeurs et d’autres pays où les gens ne sont ni intéressés ni demandeurs. »
Pendant ce temps, en France, le constructeur avance résolument. Depuis cette année, Heppner communique sur ses données environnementales, à travers un fichier de performance CO2 sur plateforme EVE mise à disposition par l’Ademe, avec certains chargeurs tels que l’Agence du don en nature ou encore Manutan. Dans le cadre d’un test réalisé par l’Ademe, le transporteur communique également à trois clients leurs données CO2 mensuellement.
Trois outils de mesure de la performance énergétique utilisés par Heppner
EcoTransIt : logiciel de de calcul automatisé de la consommation de CO2
Deepki : Audit énergétique des bâtiments
Masternaut : télématique embarquée des véhicules
Heppner en chiffres
Chiffres d’affaires 2021 : 832 M d’€ ; Effectif : 370 personnes ;
85 agences en Europe et une implantation au Sénégal; 72 millions de colis expédiés par an dans 157 pays