Transport

« Assurer la continuité de son business dans un monde où les énergies fossiles sont rationnées »

Par Guillaume Trecan | Le | Multimodal

Reuben Fisher, chef de projet fret du Think Tank The Shift Project décrypte les grandes lignes du rapport sur l’avenir du transport de marchandises décarboné intitulé « Assurer le fret dans un monde fini », que vient de publier The Shift Project.

Reuben Fisher, chef de projet fret The Shift Project. - © D.R.
Reuben Fisher, chef de projet fret The Shift Project. - © D.R.

Quelle est l’intention de départ de vos travaux sur l’avenir du transport de marchandises ?

Nous sommes partis du Plan de transformation de l’économie française avec la volonté de définir une approche globale de la décarbonation cohérente et homogène - y compris du transport de marchandise -, sans envisager chaque secteur de manière isolée.

Qui a participé à la rédaction de ce programme ?

Nous étions quatre personnes, trois salariés du Shift Project et moi-même en tant que bénévole. Nous avons été aidés par plusieurs experts et des bénévoles au sein de l’association sœur, les Shifters. Nous nous sommes appuyés sur toutes les sources qui nous semblaient pertinentes, notamment celles de l’association Transport et Environnement, des données fournies par l’Iddri, la thèse d’Aurélien Bigo sur le transport et toutes les statistiques publiques disponibles. Concernant notre méthodologie de travail, nous sommes partis de la question : comment avec une quantité d’énergie limitée, nous pourrons transporter au moins autant de marchandises disponibles ?

Quels sont les grands axes de vos propositions ?

Le premier axe consiste à réduire la demande, ce qui comptera pour à peu près 30 % de la réduction des émissions. Le deuxième porte sur l’instauration d’une gouvernance et la planification du fret, à la fois au niveau national et différents échelons territoriaux. Le troisième volet est le report modal vers le fer et le fluvial, qui compte pour près de 10 % de la réduction. Notre quatrième point consiste à passer à l’électrique pour tout le transport routier, ce qui apporterait près de 50 % des réductions d’émission. En cinquième point, nous avons cité un axe formation, enseignement, qualification, certification. Enfin, le sixième point consiste à repenser l’univers urbain en général pour la logistique.

Si le transport passagers et marchandises est le plus émissif, il est normal de lui donner un cadre régi au niveau national

Vous proposez notamment la création d’un ministère de la logistique. Quelle place accordez-vous à cette question de la planification ?

Si le transport passagers et marchandises est le plus émissif, il est normal de lui donner un cadre régi au niveau national. C’est le cas pour le transport de passagers mais pas encore pour le transport de marchandises. La loi prévoit déjà dans certains cas que les autorités existantes puissent intervenir, régir ou déléguer le transport de marchandises. Non seulement, il semble cohérent que les trajectoires de décarbonation soient infléchies par le gouvernement et aux niveaux régional et local. Mais il peut être intéressant que l’autorité publique joue un rôle pour assurer la cohérence des interventions des différents opérateurs.

Comment voyez-vous le bon dosage entre investissement public et volontarisme des grandes entreprises ?

Il y a certains sujets sur lesquels les entreprises, aussi vertueuses soient-elles, ne peuvent pas opérer seules. Une entreprise aura par exemple du mal à faire du report modal vers le ferroviaire s’il n’y a pas de capacités ferroviaires. Il y a une partie investissements publics qui doit être faite pour accompagner la mise en mouvement des entreprises mais ça ne doit pas reposer uniquement là-dessus. Il faut peut-être aussi prévoir des plans d’accompagnement sous contrainte.

Sachant qu’aujourd’hui 90 % de ce qui est transporté fait appel aux énergies fossiles, il faut préparer des plans B

Y a-t-il consensus sur la manière de mesurer l’empreinte CO2 ?

Il est en effet important que la mesure du CO2, puisse être moins opaque et plus facilement comparable entre différents acteurs et différents secteurs. Nous devons tous avoir la même la même mesure où la même unité de mesure pour pouvoir éventuellement récompenser les plus vertueux et ne pas mélanger des poires et des pommes.

Y a-t-il des doutes sur le fait que les objectifs affichés soient atteignables ?

Une étude est parue récemment sur le rapport entre utilité de l’entreprise et énergie fossile consommée. Imaginons que les énergies fossiles sont rationnées, sachant qu’aujourd’hui 90 % de ce qui est transporté fait appel aux énergies fossiles, il faut préparer des plans B. Ce scénario qui pouvait paraître fort improbable il y a quelques mois, l’est aujourd’hui beaucoup moins. Il n’est donc pas inintéressant, au niveau de la stratégie d’entreprise, d’intégrer cet élément en termes de gestion de risque : comment assurer la continuité de son business dans un monde où les énergies fossiles sont rationnées ou sous forte contrainte ?

Quelle est la suite de ce rapport ? Avez-vous d’en débattre avec des chargeurs ?

Nous avons eu le privilège d’être sollicités par différents organismes professionnels regroupant des professionnels de la supply chain. Nous y répondons avec plaisir. Mais nous n’avons pas la prétention d’expliquer aux entreprises comment faire. Néanmoins si nos travaux peuvent déclencher une prise de conscience et si nous pouvons répondre à des questions sur une mise en œuvre nous le ferons avec plaisir.

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Portrait

Reuben Fisher est chef de projet Fret du think tank The Shift Project. Il est également directeur RSE de Hopps Group.