Transport

La logistique fluviale, arme de décarbonation bien-aimée et défendue par Haropa Port

Par Mehdi Arhab | Le | Maritime et fluvial

Le 12 décembre dernier, Haropa Port a convié plusieurs journalistes à son tout premier atelier flottant. Une expérience des plus immersives sur la Seine, au cœur de la logistique urbaine durable en Île-de-France.

La logistique fluviale, arme de décarbonation bien-aimée et défendue par Haropa Port
La logistique fluviale, arme de décarbonation bien-aimée et défendue par Haropa Port

Le report modal de la route vers le fleuve, et notamment la Seine, commence à faire quelques émules. Mais si certains sont séduits par la logistique fluviale, d’autres, par crainte et du fait de préjugés, n’osent pas encore se lancer dans le grand bain. Pourtant, elle présente de nombreux avantages, tant au niveau économique qu’au niveau écologique. « Certains ont sur le transport fluvial une image négative et y voient un mode de transport du passé, dépassé », a regretté Antoine Berbain, directeur général délégué d’Haropa Port, au cours d’une traversée du fleuve qui s’est tenue le 12 décembre. « De notre côté, nous sommes persuadés que c’est un mode de transport d’avenir qui permet de fonder des stratégies solides de décarbonation », a-t-il poursuivi.

Les voies d’eau sont, depuis toujours, l’une des routes privilégiées au transport de marchandises : produits agricoles, produits de grande consommation, mais aussi matériaux de construction. La filière des matériaux de construction est en effet aujourd’hui la première utilisatrice du transport fluvial en France en tonnes transportées. « Elle l’est aussi sur l’axe Seine. La voie fluviale est le mode de transport privilégié de cette filière », a rappelé Antoine Berbain. Et si l’industrie de production des matériaux de construction recourt à la logistique fluviale, c’est notamment parce qu’elle bénéficie de la possibilité de massifier en vrac sur une seule unité de grandes quantités de matériaux et d’un accès rapide au cœur des villes, là où sont situés le plus grand nombre des grands chantiers. « Sur l’ensemble de nos ports en Île-de-France, quelque 11 millions de tonnes de matériaux de construction sont chargées et déchargées chaque année. Les entreprises du secteur voient dans le fleuve une occasion de sécuriser leurs appros et d’assurer la continuité de leurs activités », rappelle Antoine Berbain.

La logistique fluviale ne représente que 6 % du transport en marchandises en Île-de-France.

Mais à cela s’ajoute un autre atout de taille : le verdissement du transport. Le transport fluvial ne réclame pas des niveaux de consommations d’énergie exorbitants et il est surtout bien moins émetteur de gaz à effet de serre à la tonne-kilomètre transportée. Selon Jean-Michel Genestier, conseiller délégué à la logistique métropolitaine et maire du Raincy, la logistique fluviale « émet en moyenne 2,5 fois moins d’émission de CO2 que par voie routière ». « On peut même diviser par 5 les émissions de GES la même tonne transportée au kilomètre par voie fluviale vs voie routière », a embrayé de son côté Antoine Berbain. « Pourtant, la logistique fluviale ne représente que 6 % du transport en marchandises en Île-de-France. L’objectif est de faire passer une partie des flux restants, qui sont majoritairement sur les route, sur le fleuve. Mais l’objectif est aussi de convaincre les élus et les politiques de s’intéresser au sujet », a déploré juste après Jean-Michel Genestier.

Le Fleuve, la Seine pour Haropa Port, est donc un atout de premier plan et permet de façonner une supply chain efficace, résiliente, rapide, économique et évidemment durable. Si la logistique fluviale est compétitive, c’est donc parce qu’elle permet avant tout de massifier les flux transportés ; sans oublier les avantages douaniers dont peuvent bénéficier les chargeurs grâce aux installations terminales embranchées (IST) et au statut d’opérateur économique agréé (OEA) de la plupart des terminaux et de leurs exploitants, ainsi que des franchises de stationnement avantageuses. Elle est aussi très sûre et n’est pas frappée par les contraintes, les incertitudes et les risques liés au transport routier. Sur l’axe Seine, elle offre des dessertes quotidiennes depuis Le Havre et Rouen vers l’Île-de-France pour les conteneurs, mais aussi pour les flux de vracs. Et le réseau, selon ce même Antoine Berbain, est loin d’être saturé. « Nous estimons que la Seine pourrait voir son trafic fluvial être multiplié de 2 à 4 fois par rapport à ce qu’il est aujourd’hui et cela sans générer de congestion. Le potentiel du transport fluvial est impressionnant et pourrait limiter encore davantage le nombre de trajets en camion sans nécessité d’investissements complémentaires sur les infrastructures existantes », nous explique Antoine Berbain. En moyenne, 20 millions de tonnes de marchandises sont manutentionnés sur les 70 ports de la Région chaque année. Cela permet selon le directeur général délégué d’Haropa Port d’éviter 800 000 km à 1 million km de trajets en camion.

Un vecteur de décarbonation comme il en existe nul autre

La logistique fluviale cache encore bien d’autres atouts, notamment des lead times extrêmement performants et une flexibilité à toute épreuve avec des solutions de livraison variées (nuit, week-end) … Comment ne pas être conquis en écoutant (et lisant) tout cela ? Plusieurs grands chargeurs ont fini par opter pour ce mode de transport. Le premier fut Franprix, qui depuis 2012, approvisionne ses près de 300 parisiens par la voie d’eau avec une barge quotidienne transportant 45 caisses mobiles qui circule entre les ports de Bonneuil-sur-Marne et de La Bourdonnais. Les gains environnementaux enregistrés par le retailer sont considérables : ce sont 4 000 camions en moins sur les routes chaque année, 234 tonnes de CO2 évités ; 23 % Nox, 46 % CO, 43 % d’hydrocarbures et près de 90 000 litres de gazole économisés. «  Cette logistique est extraordinaire et hors norme. Elle a permis d’extraire un nombre considérable de camions des routes à l’entrée de la capitale. C’est une solution extrêmement efficace d’ailleurs, plus de dix ans après son lancement, elle est toujours en œuvre », a soulevé Antoine Berbain.

Nous pensons, et de plus en plus de chargeurs le pensent aussi, que combiner le transport maritime et le transport fluvial est une solution d’avenir pour desservir le cœur de la Métropole du Grand Paris

Plus récemment, ce sont Ferrero et Ikea qui ont plongé une partie de leurs flux dans la Seine qui concentre pas moins de 40 % des tonnages fluviaux français. Ferrero a inauguré en juillet 2021 une liaison fluviale de transport de marchandises sur l’axe Seine du port de Rouen jusqu’à Gennevilliers. Le dispositif repose sur la livraison une fois par semaine de 22 palettes de confiseries à l’entrepôt Monoprix de Wissous. De son côté Ikea a misé sur la Seine en 2022, affinant sa stratégie du dernier kilomètre en combinant voie fluviale et véhicules électriques. Ce nouveau schéma entre son entrepôt du port de Gennevilliers et le cœur de Paris pouvait, selon les estimations de l’époque, lui faire économiser quelque 300 000 kilomètres par camion et lui faire réduire drastiquement son empreinte carbone, participant par la même occasion à la décongestion de la Ville Lumière. Ces trois entreprises et les chargeurs de l’industrie de production des matériaux de construction ne sont évidemment pas les seuls à se servir de la Seine pour leur logistique et transport de flux. « Nous pensons, et de plus en plus de chargeurs le pensent aussi, que combiner le transport maritime et le transport fluvial est une solution d’avenir pour desservir le cœur de la Métropole du Grand Paris », a insisté Antoine Berbain.

D’autres chargeurs en passe de s’embarquer dans l’aventure

Pour développer la logistique fluviale, Haropa Port a investi massivement. Sa volonté : améliorer la connexion du réseau à ce qui l’entoure. Depuis 2019, Haropa Port et Voies navigables de France proposent par exemple aux transporteurs fluviaux des bornes d’eau potable et d’électricité en libre-service sur leur territoire. Ce service, qui bénéficie du soutien de l’Union européenne, réduit les pollutions liées à l’utilisation de groupes électrogènes à quai, les nuisances sonores et olfactives pour les riverains et bateliers ainsi que les besoins en carburant et entretien. La mise à disposition de quais à usage partagé (QUP) à des entreprises qui souhaitent recourir au fleuve pour le transport ponctuel de marchandises est une autre réponse apportée par Haropa Port. Ils permettent notamment le transbordement de matériaux et de marchandises sur le fleuve en faveur de la décongestion des routes et de la qualité de l’air. Le recours au fleuve a largement augmenté ces dernières années. Les exemples se sont multipliés. Mais ceux qui se lancent dans cette aventure ont dû faire de nombreux efforts, des concessions, afin de transformer leur logistique en profondeur.

« Ce sont évidemment des projets très lourds. Passer d’une solution toute routière à une solution qui inclut le fluvial nécessite un changement drastique d’organisation. Les chargeurs doivent se poser de nombreuses questions, être prêts à remettre en cause leur organisation et schéma et réinterroger leurs mécanismes. Et forcément, cela prend du temps. Mais ceux qui y ont goûté ne sont jamais revenus en arrière et trouvent dans la logistique fluviale un outil efficace et pertinent », s’est félicité Antoine Berbain.

Plusieurs acteurs de la valorisation des déchets et désormais de l’industrie de la boisson, OBD et France Boissons pour ne pas les citer, ont sauté le pas ou réfléchissent à basculer une partie de leur logistique sur la voie d’eau fluviale. OBD et France Boissons compte déjà des entrepôts sur les ports de Bonneuil-sur-Marne et de Gennevilliers, les deux principaux hubs multimodaux d’Haropa Port en Île-de-France. « OBD a déjà passé le cap et utilise le fleuve, notamment en été en période de forte consommation », a commenté Antoine Berbain. Le trafic fluvial de conteneurs est d’ailleurs en croissance et il pourrait battre un nouveau record cette année au port de Gennevilliers (Hauts-de-Seine), avec plusieurs milliers d’EVP supplémentaires vs 2023 nous a fait savoir Jean Plateau, directeur du port. Ce dernier veille d’ailleurs à ce que les sociétés qui s’implantent sur le port utilisent le fleuve pour transporter leurs marchandises. « Nous accordons aux entreprises locataires qui décident de recourir au fleuve la possibilité de faire baisser leur loyer de moitié », nous explique-t-il. « C’est une politique tarifaire incitative et compétitive qui contribuera à conforter les trafics », nous assure-t-il en complément.

Quand la cathédrale Notre-Dame profite de la Seine pour renaître de ses cendres …

L’exemple emblématique du chantier colossal de Notre-Dame de Paris reflète à lui seul les nombreux avantages que présente le fluvial. Dans ce cadre, le fluvial a répondu (plus que) présent à plusieurs reprises, notamment pour l’approvisionnement en pierres de tailles, chaux, sable, bois et en charpentes qui sont tous passés par le fleuve durant plusieurs mois en 2022 et 2023. Au total, ce sont plus de 200 tonnes de matériaux qui ont été livrés sur le chantier. Comme l’ont expliqué Antoine Bernain et Jean Plateau, le recours à la livraison par le fleuve a largement permis de s’affranchir des contraintes liées au dimensionnement des ponts parisiens. Et au-delà de la possibilité qu’offre le fluvial pour désengorger le réseau routier, ce mode a montré tout son intérêt pour le transport de colis hors gabarit et de pièces extrêmement lourdes, indivisibles et de grandes dimensions.

Outre ce chantier, les Jeux Olympiques ont aussi largement accentué l’intérêt porté au fleuve. Un game changer, peut-être, pour Haropa Port, qui ne cesse d’essayer de convaincre de nombreuses entreprises de se jeter à l’eau. « Nous avons encore beaucoup d’entreprises à convaincre de recourir au fluvial, notamment celles de la grande distribution. Le secteur de conquête est très vaste », a indiqué Antoine Bernain.