Sezane : « La notion de vitesse est bien plus forte dans le digital qu’elle ne l’est dans le retail »
Par Guillaume Trecan | Le | Retail
Pour initier les débats des Supply Days e-commerce organisés à Deauville les 30 et 31 janvier 2024, le directeur des opérations de Sezane, Arnaud Ameline, explique les particularités de la supply chain dédiée au commerce en ligne. Une supply chain qu’il estime notamment rythmée par un impératif de vitesse et d’excellence opérationnelle beaucoup plus fort qu’en retail physique.
Que représente l’activité e-commerce chez Sezane ?
L’activité retail est marginale, moins de 10 %. L’aventure Sezane a commencé il y a dix ans, purement en digital, avant d’ouvrir une boutique trois ans après. Nous avons aujourd’hui six boutiques à Paris et une vingtaine dans le monde. La marque connaît une très forte croissance à l’international et nous cherchons à y dupliquer ce modèle français.
En e-commerce, vous êtes en contact direct avec des clients dont les attentes sont fortes en termes de réactivité
Qu’est-ce qui différencie la supply chain du e-commerce de celle des commerces physiques ?
Dans le retail, il faut plusieurs jours avant que la mise en défaut d’une plateforme logistique ait un impact sur le chiffre d’affaires. Dans le digital, cela se compte en heures. L’activité des entrepôts est encore plus décisive. L’autre sujet clé pour l’e-commerce est le transport. Dans le retail, peu de boutiques ont besoin d’être alimentées en moins de 24 heures. La grande majorité du réseau peut être livré en moyenne entre deux jours et une semaine. En e-commerce, vous êtes en contact direct avec des clients dont les attentes sont fortes en termes de réactivité. Quel que soit l’endroit où il se situe, nous lui devons un service impeccable, des coûts maîtrisés et une compétence transport probablement plus forte.
La supply chain dans le secteur du e-commerce est donc plus stratégique et exigeante que dans le retail physique ?
Je le pense en effet et cela concerne tous les compartiments de la supply chain. La notion de vitesse est bien plus forte dans le digital qu’elle ne l’est dans le retail. Cela implique une maîtrise des opérations dans l’entrepôt, une maîtrise de la tech, une capacité à être rapide dans la résolution des problèmes et une grande efficacité dans les transports aller et retour.
Le coût de la supply chain rapporté au chiffre d’affaires est supérieur dans l’e-commerce à ce que l’on trouve dans le retail
Le coût de la supply chain est-il beaucoup plus important dans l’e-commerce ?
Il est probable que le coût de la supply chain rapporté au chiffre d’affaires est supérieur dans l’e-commerce à ce que l’on trouve dans le retail. D’un autre côté le retail implique de payer des mètres carrés, un loyer, des commissions sur le chiffre d’affaires, du personnel… tout cela représente 15 % à 20 % de marge en moins.
Quels sont les ordres de grandeur de la supply chain e-commerce de Sezane ?
Nos volumes annuels se rapprochent de ceux de Sephora en e-commerce en Europe. Nous livrons Los Angeles en trois jours. Il y a très peu d’endroits sur terre où nous allons mettre plus de cinq jours. Nous avons un entrepôt dans la région parisienne. Nous en aurons au moins deux autres bientôt, un aux Etats-Unis et un en Europe.
Un client très habitué au e-commerce, commande souvent et renvoie souvent. L’éloignement de la plateforme logistique a donc un coût
Être en e-commerce, implique-t-il un schéma logistique très centralisée et ultra productif ?
C’était justement le rêve du retail, mais l’e-commerce bouscule au contraire cette vision. Avec un seul entrepôt central, on est parfois un peu trop loin du client, sans compter les flux retour. Un client très habitué au e-commerce, commande souvent et renvoie souvent. L’éloignement de la plateforme logistique a donc un coût. Il vaut donc mieux ouvrir des entrepôts à différents endroits de la planète qui vont récupérer ces retours et peuvent servir de points de départ. C’est ce vers quoi nous tendons.
Comment pouvez-vous agir pour sensibiliser les consommateurs à l’impact économique et écologique de ces retours ?
C’est une question compliquée, je suis convaincu que les choses vont changer. Mais toujours est-il qu’il y a une praticité pour le client à faire venir chez lui un vestiaire en ayant la possibilité, pendant quelques jours, de changer d’avis. C’est un service extraordinaire. La tentation est forte pour le client de commander plus que ce dont il a besoin pour ne finalement retenir que ce qui lui plaira.
Le choix entre sauver la planète et se faire plaisir en profitant de la facilité de faire venir un vestiaire chez soi n’est pas tranché
Pour ce qui est du coût, à moins de rendre ce coût excessif, le client s’en moque. Quant à la RSE, les clients ont été mal habitués par des approches de livraisons et de retours gratuits. Le choix entre sauver la planète et se faire plaisir en profitant de la facilité de faire venir un vestiaire chez soi n’est pas tranché. Je ne crois pas non plus que la solution vienne de la réglementation.
Chez Sézane, nous vendons quasiment tout ce que nous fabriquons
Etant donné vos leadtime très courts et les risques variés qui pèsent sur les supply chain, avez-vous introduit une réflexion sur une augmentation des stocks ou une autre manière de servir les clients ?
Le digital a pour avantage de nous permettre de décider à la dernière minute de ce que nous proposons à la vente. Pour lancer un produit en novembre, nous devons le recevoir au plus tard fin octobre. Nous ne sommes pas en juste à temps par rapport à des contraintes de logistique pour livrer un réseau de boutiques présent dans le monde entier. En revanche, on retrouve la même notion de flexibilité industrielle que dans le retail. La partie industrielle doit être capable d’accélérer ou de freiner beaucoup plus rapidement qu’avant pour répondre à la demande et éviter tout stock inutile. C’est un impératif que nous imposons à nos fournisseurs. Ils peuvent nous livrer plus tôt mais il faut surtout qu’ils soient capables d’accélérer ou de freiner très vite, dès les premiers signaux de vente. Chez Sézane, nous vendons quasiment tout ce que nous fabriquons. C’est une excellente performance et, pour y parvenir, il faut une très grande flexibilité industrielle.
Est-ce que cela vous oriente vers d’autres types de fournisseurs ?
Notre sourcing est déjà aujourd’hui à plus de 80 % en Europe et notre volonté est de l’accroître.
Nous n’avons pas besoin d’outils plus innovants, mais des outils d’une grande robustesse
E-commerce implique-t-il une grande sophistication des outils ?
Nous n’avons pas besoin d’outils plus innovants, mais des outils d’une grande robustesse. Si un outil tombe en rade, nous devons être capables de le remettre en état dans l’heure voire la minute qui suit. Cela nous oriente souvent vers des solutions conçues et maintenues en interne. Ce ne sera pas des outils révolutionnaires mais nous ne dépendrons pas d’un tiers en cas de panne. Notre ERP est maison, de même que notre site web.
… et une robotisation nécessaire ?
Je pense en effet que cela va devenir nécessaire. Trouver du personnel en entrepôt, devient compliqué dans beaucoup d’endroit du monde. Pour autant, nous ne pouvons pas nous permettre de faire inconsidérément d’importantes dépenses de capex. Les solutions d’automatisation correspondent à des engagements pour 10-15 ans. Nous privilégierons donc plutôt les solutions de petite robotisation.
Comment travaillez-vous à limiter votre empreinte carbone sur le dernier kilomètre ?
Nous sommes dépendants des transporteurs. Se faire livrer à l’électrique ou au gaz dans Paris, Londres, ou Séoul est très facile. Nous faisons livrer près de 90 villes en Europe à l’électricité ou au gaz. Avant de pouvoir livrer des villes de taille moyenne ou des clients en zone rural à l’électrique, il faudra malheureusement des années.
Supply Days e-commerce organisés à Deauville les 30 et 31 janvier 2024