Transport

L’aventure du Grain de Sail II démarre avec splendeur

Par Mehdi Arhab | Le | Maritime et fluvial

Républik Supply - Le Média a eu l’honneur d’assister, au large des côtes bretonnes, aux premiers essais en mer des voiles du nouveau voilier-cargo de Grain de Sail, le Grain de Sail II. Des premiers pas qui marquent forcément et qui en imposent. Bien plus imposant que son grand frère, le navire partira pour sa première traversée vers New York le 15 mars prochain. Avec son nouveau bijou, Grain de Sail renforce un peu plus sa proposition de valeur et ne cache pas vouloir grandir, encore et encore. Reportage :

L’aventure du Grain de Sail II démarre avec splendeur
L’aventure du Grain de Sail II démarre avec splendeur

Pour Olivier Barreau, président et cofondateur avec son frère jumeau de Grain de Sail, ainsi que ses équipes, le 14 février avait un goût (tout) particulier. Doux, tendre et particulièrement savoureux. Cette date restera indéniablement gravée dans leur mémoire ; et pour cause, en ce jour de Saint-Valentin, leur deuxième voilier-cargo, baptisé Grain de Sail II, s’est pour de bon jeté à l’eau, au large des côtes bretonnes près du Port de Saint-Cast (22), pour effectuer ses premiers essais en mer. La grisaille hivernale bretonne s’est même éloignée pour l’occasion, laissant place à un beau soleil caressant le visage de qui le veut. Et même derrière les quelques nuages qui surgissent, le soleil est parvenu à briller, tant bien que mal, toujours, comme un symbole sans doute. Il est, en effet, de ces jours où les astres s’alignent, où rien n’empêche, à qui le souhaite, de dompter les petits vents contraires qui se soulèvent.

Olivier Barreau, président de Grain de Sail - © D.R.
Olivier Barreau, président de Grain de Sail - © D.R.

Pour Grain de Sail, la fierté est immense. Le groupe continue de poursuivre ses rêves, encore et encore. Le chemin parcouru a été long, mais il valait la peine de l’être. « C’est une vraie et réelle émotion. La journée est très importante, il est impératif de tester le comportement des voiles et l’équilibre sous voiles », admet Olivier Barreau, les yeux plissés, qui lève alors la tête et regarde en l’air pour vérifier que les voiles sont correctement déferlées. Et vient le moment lors duquel, enfin, ces mêmes voiles sont hissées, à plus de six mètres de hauteur. Ce sont alors quelque 500 kilos de la voile de misaine qui approchent de la tête de mât et qui se dressent face à un équipage extrêmement concentré. Et voilà, le voilier est enfin coiffé.

Pour que le bateau voit le jour, nous avons tablé sur six mois de design et douze mois de construction. Le tout représente 40 000 heures de bureau d’étude et près de 100 000 heures de construction

Cette concentration et cette excellence, Grain de Sail les cultive avec grand soin. Le début du chantier de son nouveau joyau avait démarré en août 2022, la première mise à l’eau de la goélette avait été effectuée en juillet 2023, la mâtage exécuté en décembre dernier. Un temps court, mais qui peut sans doute paraître parfois interminable. Un tel projet, qui a réclamé plusieurs millions d’euros d’investissement, demande de la finesse assurément, une précision de tous les instants, de la patience également. « Pour que le bateau voit le jour, nous avons tablé sur six mois de design et douze mois de construction. Le tout représente 40 000 heures de bureau d’étude et près de 100 000 heures de construction », révèle Loïc Briand, directeur général de Grain de Sail Shipping, la partie maritime de l’entreprise qui est à l’origine un chocolatier et torréfacteur.

Le Grain de Sail II est enfin coiffé - © D.R.
Le Grain de Sail II est enfin coiffé - © D.R.

Un monstre des mers deux fois plus imposant que son grand frère

Depuis près de trois ans désormais, la société bretonne transporte sa matière première entre les Antilles et sa chocolaterie de Morlaix (29) sur son premier voilier cargo, Grain de Sail I, un navire de 24 mètres de long normé marine marchande pouvant charger 26 palettes. Son retour d’expérience lié à l’exploitation de son premier de série, son « démonstrateur », comme aime si bien l’appeler Olivier Barreau, a été pour le moins précieux afin de ne pas répéter les erreurs du passé. Le Grain de Sail II est un voilier en aluminium de 52 mètres, pesant pas moins de 600 tonnes. Il a été dessiné par L2O Naval, en partenariat avec le directeur général de Grain de Sail Shipping, et a été construit par Piriou. Il peut embarquer près de 240 palettes US ou 290 palettes européennes, sur deux niveaux, soit l’équivalent de 350 tonnes de marchandises. « Nous changeons avec ce navire totalement d’échelle et ce, sur tous les plans, se félicite Olivier Barreau. Le Grain de Sail I nous a permis d’en apprendre beaucoup, d’améliorer l’existant et d’implémenter ce qui devait l’être en phase de conception et de construction ». Forcément, après des années de recherche et développement puis d’exploitation de son premier jouet, Grain de Sail a abordé cette nouvelle aventure avec plus de sérénité. « Si l’histoire avait commencé avec ce navire, elle n’aurait sans doute pas été la même. Nous avons payé et financé notre propre expérience » concède d’ailleurs Olivier Barreau.

Tout a été mis en œuvre pour que le transport de marchandises se fasse dans des conditions optimales.

Un navire plus conséquent, plus imposant donc, et dont la coque en aluminium, pour être légère, solide et recyclable, a été construite au Vietnam. La partie vélique a quant à elle été assemblée par des prestataires français sur divers chantiers navals du pays et en Europe. Le bateau multiplie par près de huit sa capacité de cargaison par rapport à celle de son grand frère et permet à Grain de Sail de baisser sensiblement le coût de transport par produit. Il comporte en tout et pour tout quatre cales de 15 mètres de longueur et de neuf mètres de largeur, sur 1,70 m de hauteur, lesquelles peuvent accueillir chacune une soixantaine de palettes. Elles sont isolées et thermorégulées, de manière à parfaitement gérer la température et l’hygrométrie. Elles disposent également de caméra de surveillance et d’un système de verrouillage. L’assujettissement des palettes contre des bardis structurels et le calage par de coussins gonflables évitent tout ripage et tout poinçonnement de la cargaison. Le déhalage des marchandises en cale est effectué par plusieurs transpalettes manuels réduisant ainsi les risques de choc. « Tout a été mis en œuvre pour que le transport de marchandises se fasse dans des conditions optimales. Ce navire économise son énergie et ce qui est à produire le sera grâce à plusieurs panneaux solaires qui sont d’ores et déjà installés », assure Olivier Barreau.

L’une des quatre cales du Grain de Sail II - © D.R.
L’une des quatre cales du Grain de Sail II - © D.R.

Des leadtimes extrêmement compétitifs et un circuit aux émissions quasi-inexistantes 

Fidèle à ses convictions, là encore, Grain de Sail se refuse à effectuer des trajets à vide. Pour rappel, la société bretonne avait imaginé l’escale à la Big Apple comme une occasion de ne pas faire une transat à vide, transportant ainsi son chocolat et son vin bio de Bourgogne vers le pays de l’Oncle Sam, avant qu’elle ne parte s’approvisionner en fèves de cacao et en café vert dans les Caraïbes. Une manière pour le groupe de s’ouvrir sur un nouveau marché. Sur la ligne New-York-Antilles, le Grain de Sail I repartait également chargé, de matériel médical cette fois, collecté auprès de cliniques et d’hôpitaux et livré gracieusement en République dominicaine pour le compte de l’Afya Foundation. « C’est avant tout une aventure et elle a été pensée pour prendre du plaisir, allier écologie et un côté marchand », commente Loïc Briand.

Le projet, qui vise à réhabiliter la marine marchande à voile utiliser les moteurs véliques pour transporter des marchandises, est plus que prometteur. Grain de Sail a imaginé et inventé un business model qui mérite le qualificatif « disruptif », jusqu’au-boutiste et franchement remarquable. « Je pense tout simplement que nous n’avons plus le choix, clame Loïc Briand. Notre message est simple : transporter moins, mais transporter mieux. Nous voulons casser les codes et prouver que des façons de faire différentes sont possibles ».

Le prix du vent ne change pas

Avec ses solutions, Grain de Sail affirme réduire l’empreinte carbone totale de la traversée en moyenne à près de 97 %. La vitesse de croisière de son nouveau navire est de 11 à 12 nœuds, « une vitesse sur laquelle les porte-conteneurs traditionnels devront s’aligner pour réduire leur consommation », estime Olivier Barreau. Le transit time est compris entre 16 et 18 jours quai à quai. Au demeurant, l’accès prioritaire aux ports sur des terminaux portuaires secondaires plus accessibles et moins chargés que des terminaux à conteneurs est pour Grain de Sail un vrai avantage. Le groupe, qui espère comme cela gagner des parts de marché ici et là, fait en effet gagner à ses clients près d’une dizaine de jours en leadtime par rapport à une solution de groupage maritime traditionnel conteneurisé ; sans oublier l’aspect « vertueux » de sa solution. « Tout est plus simple à organiser », se félicite le président de Grain de Sail. « Nous allons travailler avec des dockers. Nous serons en mesure, en prenant notre temps et soin des marchandises, de charger et décharger le bateau en deux jours », embraye Loïc Briand. Une aubaine pour de nombreux grands chargeurs, d’autant qu’ils profiteront de prix stables et maîtrisés, non-indexés bien sûr sur le coût du pétrole. « Le prix du vent ne change pas et c’est ce qui est intéressant » s’amuse Olivier Barreau, pour qui la qualité de service « doit être obligatoirement au plus haut niveau ».

Une ouverture de capital envisagée d’ici peu et trois nouveaux navires en approche

Nous rentrons désormais dans une phase différente avec l’agrandissement de la flotte. Il est donc probable que nous procédions à une ouverture du capital

Pour ce qui concerne son modèle économique, Grain de Sail, via son entité commissionnaire de transport Grain de Sail Logistics, dont les clients peuvent aussi bien être des chargeurs que des prestataires de transport, est parvenu à contractualiser bon nombre des capacités de ses navires nouvelle génération, auprès de chargeurs issus de différents univers industriels, dont les produits sont à forte valeur ajoutée : pharma, cosmétiques, luxe, vins et spiritueux. Les engagements de ses clients, qui s’étalent sur huit à dix ans parfois, ont permis à Grain de Sail de sécuriser son business model et de lui assurer des perspectives de croissance certaines. Mais si le groupe indiquait jusqu’alors ne pas chercher à lever des fonds, la donne pourrait changer très prochainement. « L’engagement de nos clients a été primordial pour sécuriser notre manière d’opérer. Toutefois, nous rentrons désormais dans une phase différente avec l’agrandissement de la flotte. Il est donc probable que nous procédions à une ouverture du capital », nous confie Olivier Barreau.

D’ici à cinq ans, le président de Grain de Sail entend accueillir au moins trois nouveaux navires dans son parc, identiques au Grain de Sail II, lequel partira le 15 mars pour la première de ses cinq transatlantiques de l’année. « Le navire sera plein pour sa grande première », assure d’ailleurs Olivier Barreau. Chaque sister-ship pourra effectuer six boucles par an, soit douze transats. L’objectif étant en fait d’en construire suffisamment pour proposer aux clients de Grain de Sail Logistics une transat toutes les deux semaines. « L’idée a toujours été d’augmenter la taille de la flotte afin d’opérer davantage de traversées à partir de Saint-Malo », explique Olivier Barreau. De son côté, le Grain de Sail I opérera désormais deux nouvelles lignes maritimes hebdomadaires transmanches. Le navire partira successivement du port de Saint-Malo vers, une semaine sur deux, un port secondaire dans la zone de Dublin ou de Cork en Irlande, et de Plymouth en Angleterre. En positionnant son offre sur des trajets courts, Grain de Sail Logistics espère renforcer très rapidement la compétitivité de son offre. En effet, la différence de temps de trajet avec ses concurrents routiers et même aériens est bien moins marquée qu’elle ne l’est sur un trajet plus long.

En revanche, Grain de Sail, qui emploie plus de soixante personnes, n’envisage pas de s’appuyer sur des bateaux plus grand et ce pour une bonne et simple raison : la voile ne viendrait qu’en support d’un moteur thermique principal et de fait, le transport ne sera pas totalement décarboné. Voilà qui est hors de question pour Olivier Barreau. « Nous ne laissons rien au hasard, un navire comme celui-ci a été pensé pour décarboner le transport de façon quasi-totale. Avec ses 1 500 m2 de voiles de portant, son rapport poids-puissance est de 2,7t/ m2 , ce qui est bien supérieur à des cargos de 80 mètres par exemple », conclut Olivier Barreau.