Stratégie supply

Gémo : « la supply chain doit être plus experte, plus structurée et doit s’appuyer sur des outils »

Par Guillaume Trecan | Le | Retail

Jean-Michel Fabre, le directeur des opérations du groupe Eram explique pourquoi le groupe investit dans la modernisation de sa supply chain challengée par les évolutions du secteur du retail. Il implémente notamment l’outil de pilotage collaboratif Winddle, qui s’intègre dans le cadre de la rénovation complète des systèmes d’information.

Jean Michel Fabre, directeur des opérations de Gemo. - © D.R.
Jean Michel Fabre, directeur des opérations de Gemo. - © D.R.

Dans quel contexte s’inscrivent les investissements que Gémo conduit actuellement pour moderniser sa supply chain ?

Le déploiement de la plateforme collaborative Winddle s’inscrit dans le cadre d’un projet plus vaste de modernisation de nos systèmes d’information qui passe par l’implémentation d’un nouvel ERP, S4Hana et d’un nouveau PLM, Centric. Nous avons sélectionné Winddle sur la partie pilotage des flux de marchandises. Nous disposions jusqu’ici d’outils maison ; des outils robustes, mais dont le cœur système avait plus de trente ans. En même temps, nous avons également entrepris de moderniser les trois plateformes distribution sur lesquelles nous nous appuyons dans le Maine-et-Loire pour expédier près de 80 millions de pièces textiles et chaussures par an, vers plus de 400 magasins Gémo.

Ces projets s’inscrivent dans un contexte global d’investissement décidé par le groupe pour accompagner la croissance de Gémo

Ces projets s’inscrivent dans un contexte global d’investissement décidé par le groupe pour accompagner la croissance de Gémo et s’adapter aux développements de notre activité notamment à l’international et dans le digital.

Quels bénéfices attendez-vous de la modernisation de vos SI au niveau de la supply chain ?

Nous voulons améliorer la maîtrise de notre flux de passation de commandes. La vocation d’un outil collaboratif comme Winddle est bien de casser les silos. C’est un point clé pour nous qui gérons un flux qui doit franchir un grand nombre d’étapes, depuis l’idée du produit, sa commande auprès d’un fournisseur, jusqu’au magasin. Pour que ce flux soit continu, nous avons besoin d’outils modernes de prévision, de planification, d’aide au cadencement, de tracking. Il est indispensable que nous puissions nous appuyer sur des données les plus fiables possibles et sur un mode de travail beaucoup plus collaboratif associant nos plateformes, nos fournisseurs, nos bureaux de sourcing en Asie, nos transitaires et nos entrepôts. A bout du compte, l’objectif final étant est de mieux servir nos magasins et donc nos clients. La période Covid et l’instabilité qu’elle a engendré, notamment sur le fret maritime, ont évidemment mis en exergue ce besoin de pilotage collaboratif.

Nous nous attendons même à une guerre des prix entre compagnies maritimes

Dans quelle proportion vos leadtime se sont-ils dégradés ?

L’impact sur notre transit time des pénuries de conteneurs et de certains équipements a été important, mais nous avons réussi à en atténuer les effets, notamment en prenant un peu plus de sécurité sur les délais. La situation a retrouvé un peu de normalité, même si des perturbations demeurent sur le trafic maritime où les transbordements sont très fréquents. Actuellement, les grèves sur le port du Havre complexifient aussi le travail de réception sur nos plateformes. Mais les coûts de fret ont fortement baissé et nous nous attendons même à une guerre des prix entre compagnies maritimes. Elle sera d’autant plus forte que ces acteurs disposent de réserves de trésorerie. Cela renforce la nécessité de disposer des informations les plus précises pour nous aider à prendre de bonnes positions.

Sur quels KPI allez-vous mesurer la réussite du déploiement de Winddle ?

Nous analysons principalement les retards : où ils trouvent leur source, s’agit-il de retard de production, des retards de développement, de mise au point ou de validation produit ? Le premier KPI que nous suivons est le transit time, le deuxième est l’ETA entrepôt (acheminement, réception). Nous suivons également des KPI plus opérationnels liés à l’exploitation, afin de planifier une réception la plus fiable possible. Nous avons aussi des KPI sur les délais de mise en place des produits.

Quelles actions avez-vous mises en place pour faciliter la conduite du changement ?

C’est pour moi un facteur clé de succès. En effet, ce n’est pas qu’un changement d’outil mais également une évolution dans les méthodes et les process. Nous avons donc constitué une équipe projet dédiée qui regroupe des experts de chaque domaine d’activité, ils vont piloter la phase de recette et désigner des référents dans les métiers. De mon côté, je suis sponsor du projet sur la partie utilisateur.

Dans quelle mesure le déploiement de cet outil collaboratif vous incite-t-il à faire évoluer l’organisation de vos équipes ?

Nous avons en effet recalé nos organisations pour tenir compte du fait que, dans le retail, il est de plus en plus nécessaire d’avoir des experts dans le pilotage des flux amont. Nous avons donc créé il y a deux ans une équipe de gestionnaires de flux amont (que d’autres appellent Demande Planers). Cette équipe d’une quinzaine de personnes est spécialisée dans la passation de commandes, le cadencement, le suivi, le tracking. L’équipe supply chain comprend également une spécialisée dans la gestion du flux aval, une équipe import douane et une équipe logistique, qui constitue le plus gros de l’effectif. Au total, 60 personnes travaillent à la supply chain, hors entrepôts.

Les entreprises de retail qui font la course en tête sont celles qui sont parvenues à attirer de véritables spécialistes de la gestion des flux et des stocks

Aujourd’hui, les entreprises de retail qui font la course en tête sont celles qui sont parvenues à attirer de véritables spécialistes de la gestion des flux et des stocks. Les rythmes d’approvisionnement et de distribution étaient auparavant beaucoup plus simples. Nous poussions des collections à chaque saison, émaillées de périodes de soldes. A présent, les flux et les rythmes d’activité sont beaucoup plus complexes et requièrent une très grande réactivité.

Comment voyez- vous évoluer le rôle de la fonction supply chain une fois que cet outil aura été complètement adopté ?

Avec ces évolutions, la fonction supply chain va pouvoir apporter beaucoup plus de valeur. En se libérant des tâches de paramétrage et de saisie, qui faisaient partie de leur quotidien, nos collaborateurs vont pouvoir s’investir dans l’analyse et la prise de décision. En optimisant nos flux et en s’impliquant dans ce travail collaboratif, la fonction va gagner en importance.

La supply chain devient centrale dans nos organisations et les entreprises qui réussissent sont celles qui investissent dans ces outils

Pour assurer une gestion sans rupture et totalement fluide dans ce contexte, la supply chain doit être plus experte, plus structurée et doit s’appuyer sur des outils. Nous avons besoin de plus d’indicateurs, non pas pour contrôler, mais pour mesurer la performance et définir les plans d’action nécessaires. Alors que nous consacrions jusqu’ici beaucoup de temps à extraire de l’information, la data sera à terme facilement accessible d’où l’importance de disposer d’outils pour consacrer plus de temps à exploiter ces informations et définir des plans d’action. La supply chain dans le retail est challengé par le développement de l’omnicanalité. Nos stocks peuvent être partout. Il faut être très réactifs. Nous sommes dans une course à la rapidité et à la fluidité. La supply chain devient centrale dans nos organisations et les entreprises qui réussissent sont celles qui investissent dans ces outils.